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réveiller au-dessous de lui le gardien chargé de le remplacer. Il descend alors dans sa chambre et se couche pour le reste de la nuit. Le lendemain (à six heures, l’été, à sept, l’hiver) il est debout, pour le nettoyage, le briquage, etc.

Mais ces opérations ne prennent qu’une partie de la matinée. Le voilà libre pour le reste du jour. Que va-t-il faire ? Sur ces écueils de haute mer, sur les plus larges même et en été, il ne lui est pas toujours loisible de sortir du phare. Deux obstacles : le vent de nord, la houle de fond. Tous deux sont traîtres. Des calmes trompeurs précèdent leurs pires attaques : qu’une fenêtre bâille dans un de ces répits, c’est toute la mer par l’un, tout le poumon de la tempête par l’autre, qui s’engouffrent dans le phare. Il faut, en plein midi, fermer les volets, barricader les portes, allumer les lampes, vivre comme dans la nuit, avec, autour de soi, le formidable ronflement d’orgue, le Dies iræ perpétuel de la rafale d’en haut contre les vitres. La claustration est absolue et dure quelquefois quinze jours, trois semaines, des mois entiers, l’hiver. Où et comment se mouvoir alors, dans ces minces colonnes qui, à mer basse seulement, découvrent un bout de roc inaccessible et, le reste du temps, plongent droit dans l’écume ? Et pourtant le besoin de mouvement est impérieux. Dure nécessité ! Pour lui donner satisfaction, il n’y a pas d’autre moyen que l’ascension et la descente, la descente et l’ascension dans l’escalier qui grimpe à la lanterne : les chambres, en effet, sont trop étroites ; on n’y peut faire plus de trois pas en longueur. Cette façon de régime cellulaire finit par retentir sur le moral des gardiens. Un fil invisible, à bord du navire qui passe, rattache le marin à la terre, au monde habité. Le navire marche ; il vient de quelque part et il va quelque part. Aller, venir, c’est de la vie encore. Ici, l’immobilité est complète. On a l’impression d’un isolement éternel et comme d’un arrêt du temps sur un point déterminé du vide.

Dans un récit anglais bien connu, l’auteur fait parler un gardien nouvellement débarqué au phare d’Eddystone, où il avait pour compagnon un vieil Écossais rigide, habitué des phares, qui, lui, contre sa détresse intérieure, recourait à la ressource ordinaire des protestans, la Bible. « Quelquefois je fondais en larmes, dit le héros du récit, et je me désolais comme un enfant pendant une heure entière ; mais les larmes ne m’apportaient aucun soulagement. Chaque jour me paraissait ne devoir jamais