surcroît d’une sirène de brume actionnée à l’air comprimé ; les frais de réfection et d’installation de ce ponton, le mieux outillé de la côte, montèrent à 300 000 francs. Pleine satisfaction était donnée sur ce point aux vœux de la commission. Mais le service des phares ne crut pas devoir adopter immédiatement le second vœu des enquêteurs, tendant au déclassement des bateaux-feux du Grand-Banc, de Calais, de By, de Mapon et de Rochebonne. Seul le ponton des Minquiers fut supprimé et remplacé par un cordon de bouées lumineuses. Les autres bateaux-feux, suivant l’État d’éclairage des côtes de France et d’Algérie dressé au 1er janvier 1895, étaient maintenus dans leur ancienne condition.
Le phare est allumé. De lourdes nuées traînent dans le vent qui monte. Que sera la nuit ? Le baromètre baisse ; la mer stagne, comme figée : mauvais signe ! Sous ce marbre noir, veiné par places de blancheurs équivoques, on sent une colère qui couve. Et cependant, à la barre, le pilote ne fut jamais plus calme, plus confiant : cette longue clarté sinueuse, ce ruban de lumière que le phare déroule jusqu’à lui, c’est la magique, la mouvante passerelle qui mène de l’abîme au port, du danger au salut, qui court chercher le navire aux confins de l’horizon visible, s’attache à lui, ne le quitte que rendu et en sûreté, ou après l’avoir remis sur une autre voie toute pareille, toute d’or comme elle, au carrefour que fait sa flamme avec la flamme d’un autre phare…
« Qui voit le phare, — fini son quart, » dit un proverbe marin, c’est-à-dire fini son danger, finis ses angoisses et ses doutes. Ce mot même de phare dégage je ne sais quel prestige. Il est éclatant et bref. La poésie lui a fait un sort : elle le prend pour signifier tout ce qui luit, tout ce qui guide, tout ce qui sauve. Michelet saluait dans les phares les bons génies des marins. Il n’était pas loin, comme Esquiros, de leur reconnaître une personnalité morale, une conscience. À ses heures de lyrisme, il les interpellait : « Ah ! Cordouan, Cordouan, ne sauras-tu donc, blanc fantôme, nous amener que des orages ! » Le pêcheur côtier, le marin du commerce, ont un peu de cette attitude devant les phares : ils ne se résignent pas à les traiter comme des choses ; ils leur prêtent des sentimens, une âme, presque un caractère distinctif, parlent d’eux comme de gens qu’on coudoie, qui sont