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campagne à la tête de ses troupes. D’ailleurs le Negus neghesti change souvent, selon que l’emportent les armes de l’un ou de l’autre pays, selon que la fortune sourit à cette province ou à cette autre, et selon les intrigues des grands et les combinaisons des ras dans les luttes politiques par lesquelles, depuis des siècles, est déchirée l’Abyssinie.

En ce pays de hautes montagnes, coupé de précipices, de population rare, mal pourvu de communications, le souverain pouvoir fait difficilement sentir son autorité aux chefs féodaux, lesquels prétendent gouverner le pays à leur gré, et qui, dans le cas où leurs rébellions échouent, trouvent un asile dans les ambe. De plus, le manque de foi est tenu par eux pour de la finesse politique, et l’insurrection contre l’autorité suprême pour une marque d’indépendance et une preuve d’audace.

Dans les trente dernières années, les Abyssins ont eu à soutenir cinq guerres extérieures : contre les Anglais en 1868, contre les Égyptiens en 1875 et 1876, contre les Italiens en 1888 et en 1895-1896, — sans compter les luttes du Tigré et du Godjam contre les Derviches. Et pourtant, durant cette brève période, le roi Jean a dû combattre ses rivaux et les vaincre à la bataille d’Adoua (1871) ; à deux reprises (1877 et 1888), il a dû marcher contre le Choa, pour soumettre Ménélik, qui s’était proclamé lui-même Negus neghesti. Puis, quand le roi Jean fut tombé à la bataille de Matamma (1889) en combattant contre les Derviches, l’hégémonie passa, sans motif apparent, du Nord au Sud de l’Éthiopie, et Ménélik, roi du Choa, fut généralement reconnu pour Negus neghesti. Mais, à son tour, il dut, pour se maintenir, marcher d’abord contre le Godjam et ensuite contre le Tigré (1890) ; encore fut-il obligé de laisser le ras Mangacha arbitre absolu de l’Abyssinie septentrionale.

Comme tel, Mangacha, en 1892, concluait un traité avec les Italiens ; et ce pacte était juré solennellement sur l’Évangile par lui et aussi par le ras Aloula. Mais le ras Aloula se révolta par deux fois contre Mangacha, et Mangacha lui-même, lorsqu’il crut les Italiens engagés contre les Derviches, au moment où il devait avoir une entrevue avec moi, nous trahissait et envahissait la colonie, se rangeait aux côtés de Ménélik et des Choans, et, joint à eux, entreprenait contre nous la campagne de 1895 et 1896.

Mais, à cette heure, il doit être las d’être le sujet de Ménélik : dans les premiers jours d’octobre dernier, il a rassemblé ses soldats