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cours : » tel Pierre Rogier, qui fut chanoine de Clermont et « laissa la chanoinie pour se faire jongleur. » D’autres, plus pratiques, cumulaient : Daude de Pradas, auteur de quelques chansons, dont une au moins est de sujet plus que profane, paraît être resté jusqu’à la fin chanoine de Maguelonne. Il est vraisemblable que, pour l’évêque de Bazas et l’évêque de Clermont, qui sont cités dans la liste des troubadours, la poésie ne fut jamais qu’un passe-temps (encore que ce dernier ait eu, pour un simple amateur, la plume singulièrement exercée). Pour d’autres, la poésie était, non seulement une distraction, mais un métier, greffé sur un autre, et non le moins lucratif : Gui d’Ussel, noble châtelain du Limousin, était troubadour, ainsi que deux de ses six frères et un sien cousin, avec qui il s’était partagé tout le domaine de la poésie : « Gui trouvait de bonnes chansons, Élie de bonnes tensons, Eble de mauvaises tensons (c’est-à-dire probablement des tensons injurieuses), et Pierre chantait tout ce que les autres trouvaient. Et Gui était chanoine de Brioude et de Montferrant, et faisait ses chansons en l’honneur de madame Marguerite d’Aubusson et de la comtesse de Montferrant. » Mais l’autorité finit par intervenir : le légat du pape, passant par-là, « lui fit jurer que jamais plus il ne ferait de chansons ; et lui, par obéissance, renonça au trouver et au chanter. »

On était moins intransigeant quelque trente ans auparavant, et le moine de Montaudon put, jusqu’à sa vieillesse, mener cette vie en partie double, non seulement avec l’assentiment, mais aux applaudissemens de ses supérieurs, soucieux avant tout « du bien de la maison. » L’ancienne biographie provençale a ici trop de grâce naïve pour que nous ne nous bornions pas à la traduire littéralement : « Le moine de Montaudon était d’Auvergne, d’une petite ville qui a nom Vie, près d’Aurillac. Il était gentilhomme et fut fait moine en l’abbaye d’Aurillac, et là il sut s’arranger de manière à faire parfaitement le bien de la maison : il faisait des couplets, tout en étant dans les ordres, et des sirventés sur les sujets qui couraient par la contrée. Les chevaliers et les barons le tirèrent de son couvent et lui firent grand honneur ; et ils lui donnaient tout ce qu’il voulait. Quant à lui, il portait tout à Montaudon, à son prieuré. Ainsi il accrut et améliora beaucoup son église, portant toujours le froc ; un jour, il s’en alla à Aurillac, à son abbé ; et, lui remontrant tout l’accroissement dont le prieuré de Montaudon lui était redevable, il le pria de lui accorder cette