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ménestrels et jongleurs quelques-uns de ceux qui eussent été tentés de s’y engager et en entravait en partie le recrutement.

Mais le clergé méridional, du Xe au XIIe siècle, n’était préparé à aucune de ces tâches. C’était d’abord, s’il est permis de parler ainsi, un clergé fort peu ecclésiastique : la simonie, qui désola l’Église de France à cette époque et la mit presque tout entière entre les mains de la société laïque, sévit particulièrement au Midi. Les seigneurs méridionaux s’étaient habitués à considérer les dignités ecclésiastiques comme des prolongemens de leurs fiefs, revenant de droit à leurs cadets et à leurs bâtards. Les abbayes avaient été heureuses, aux IXe et Xe siècles, de se mettre sous la protection d’abbés-chevaliers qui assuraient leur sécurité ; mais c’était introduire le loup dans la bergerie, et le tuteur finit par se transformer en possesseur. Il était alors fréquent, comme le dit Ampère[1], « de voir des abbés laïques s’établissant dans les monastères avec leurs femmes, leurs enfans, leurs soldats et leurs chiens. » Le clergé et le peuple étaient bien, en théorie, maîtres des élections ; mais il était bien rare que les promesses ou les menaces ne réussissent pas à leur arracher la ratification d’un marché où triomphait toujours l’habileté ou la richesse. Vers 977, Guillaume Sanche, duc de Gascogne, tenu du reste à son époque pour un chrétien irréprochable, donnait d’un coup à son frère Gombaut six évêchés de ses États, dont il se croyait sincèrement le légitime propriétaire. Vers 1030, 1e comte de Cerdagne, à la piété duquel les contemporains rendent aussi un hommage éclatant, achète l’archevêché de Narbonne pour le donner à son fils âgé de douze ans. Vers 1037, le comte de Toulouse, Pons, lègue à sa femme le prix de l’élection de l’évêché d’Albi. Rien de plus curieux que l’histoire de cette élection, qui eut lieu en effet l’année suivante. Bernart Adhémar, moyennant la somme de cinq mille sous, acheta l’évêché pour son fils, qui s’engageait à entrer dans les ordres pour cet objet ou du moins à y faire entrer quelqu’un qui tiendrait sa place. C’est au premier parti qu’il s’arrêta, et il prit en effet possession, — j’allais dire livraison, — du siège en 1040. Aussi s’explique-t-on qu’au bout de peu de temps, le haut clergé se soit composé en grande partie de nobles, dans les préoccupations desquels le bien de l’Église et l’édification du peuple entraient pour fort peu de chose.

  1. Histoire littéraire de la France sous Charlemagne, p. 345.