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de ce livre n’est pas d’être écrit dans un style ridicule, mais d’avoir paru à un très petit nombre d’exemplaires. Il ne faut point compter du tout les compilations de Mary Lafon et de M. Laurens, où l’ignorance n’a même point l’excuse de la candeur et où l’erreur s’aggrave de véritables impostures. Nous avons en somme, comme livres accessibles au public, deux éditions, celle de Bertran de Born par M. Thomas, et celle de Montanhagol par M. Coulet[1], et pas même le plus maigre des manuels.

Si les provençalistes font leur examen de conscience, ils reconnaîtront donc qu’ils méritent plus que personne les vibrantes objurgations que M. de Vogué adressait ici même, il y a peu de temps, aux romanistes en général. Ils se plaisent à railler les félibres qui se réclament si volontiers de leurs illustres prédécesseurs et les ignorent si complètement : ne feraient-ils pas mieux de se demander s’ils ne sont pas eux-mêmes quelque peu responsables de cette ignorance, — de la profondeur de laquelle la plupart des félibres eux-mêmes ne se doutent pas ? Actuellement, il faut bien le dire, la littérature provençale est comme un terrain réservé où nul ne peut mettre le pied s’il ne sait l’allemand, s’il n’a une volonté énergique, des loisirs, et s’il ne se trouve à proximité d’une grande bibliothèque.

Je sais bien ce qu’on pourrait me répondre : que ce terrain est en plein défrichement, que l’heure n’est pas venue d’y introduire le public. Je ne me demande pas, en ce moment, s’il est nécessaire, pour admettre le public dans le domaine d’une science encore nouvelle, qu’il puisse s’y promener comme dans un jardin anglais. N’est-ce point de sa part une curiosité légitime, — et flatteuse pour les travailleurs, — que de vouloir se rendre compte de l’état d’avancement des travaux ? Or, ici, les progrès accomplis sont certainement considérables : depuis cinquante ans il a été fait obscurément beaucoup de besogne utile : quelques textes intéressans ont été découverts, des manuscrits publiés in extenso ; on a même donné (en Allemagne, cela va sans dire) un certain nombre d’éditions critiques, et de bonnes monographies des principaux genres : actuellement il ne reste pas, de toute la poésie lyrique des troubadours, plus de cinq cents vers inédits. Soutiendra-t-on que, de tout ce travail, rien ne soit de nature à intéresser le grand public ?

  1. Bibliothèque méridionale (Toulouse, Privat, éditeur), 1re série, t. Ier et IV.