Mais une telle question ne se posera point au sujet de la seconde variété essentielle de la poésie provençale, variété de tous temps moins estimée, moins richement représentée aussi, mais qui garde pour l’historien des mœurs un intérêt autrement vif. Le sirventés en effet plonge de toutes ses racines dans la réalité, souvent dans la réalité la plus triviale : là se croisent les défis les plus grossiers, les insultes les plus violentes, traduites dans le plus audacieux des styles. Pour trouver des exemples d’une pareille liberté de langage, il faut remonter jusqu’aux épigrammes de Catulle ou descendre jusqu’aux pamphlets, — en latin, — du XVIe siècle.
Peu nous importerait le sirventés s’il n’avait été que le véhicule de rancunes personnelles, presque toujours médiocrement intéressantes ; mais il a été souvent aussi le porte-voix de l’opinion publique. Parmi les événemens qui ont fait retentir cet écho sonore, il en est sans doute que l’histoire ne met point au premier rang. Les troubadours n’ont pas toujours apprécié ces événemens à leur valeur. Ils ont pu, par défaut de critique ou dans une vue intéressée, en exagérer l’importance ou en méconnaître la signification. Mais il n’en reste pas moins vrai que, de ceux qui ont fait vibrer l’âme méridionale de 1150 à 1300 environ, il n’en est pas un vraiment notable qui n’ait laissé sa trace dans les strophes du sirventés : l’enthousiasme provoqué par les Croisades, le honteux traité imposé à Raymond VII par ses vainqueurs, l’écrasement de la nationalité méridionale, les plaintes provoquées par l’établissement de l’Inquisition, la substitution de princes étrangers aux dynasties nationales, voilà certes des faits d’une importance capitale et dont il n’est nullement indifférent de pouvoir constater le contre-coup sur l’âme des contemporains.
Au grand intérêt du sujet la plupart des chants historiques des troubadours joignent des qualités de forme qui sont, dans ce genre, un mérite extrêmement rare. Les poèmes historiques ont généralement, il faut bien l’avouer, une valeur littéraire assez mince : leurs auteurs sont souvent en effet des versificateurs gagés dont les enthousiasmes de commande sont difficilement compatibles avec une grande fraîcheur d’inspiration ; quant à ceux qui ont pris aux événemens une part active, dont l’âme a été vraiment émue à leur contact, ils n’ont pas toujours l’éducation technique qui serait nécessaire pour traduire dignement cette émotion : quelques traits d’une naïveté, d’un pittoresque souvent