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souveraineté que la force a établie, le soulèvement de ces peuples n’était pas moins légitime contre la violation des garanties que l’Europe avait reconnues nécessaires, et que la Turquie avait, plusieurs fois et toujours en vain, promises. Et quand Abdul-Hamid a commencé à se libérer de toutes ses promesses en détruisant les races qui les avaient reçues, le droit de fraternité écrit dans l’Évangile, le droit de justice écrit dans les traités, le droit de pitié écrit dans la loi naturelle, autorisaient, obligeaient les princes et les peuples à intervenir. L’Europe, malgré l’habitude qu’elle a prise des iniquités, sentit l’humiliation et l’horreur de ce retour à la sauvagerie ; et l’unanimité de l’Europe eût été la soumission du Sultan. Qui a fait obstacle à cette unanimité ? Qui a, par son attitude, rendu inefficace la bonne volonté des autres puissances, empêché l’octroi pacifique d’un gouvernement humain à l’Arménie, et d’un régime autonome à la Crète ? Qui s’est, dès la première heure, tenu debout près du Sultan, comme un conseiller et comme un allié ? Qui a, par cette assistance, affermi dans la main d’Abdul-Hamid le fer au lieu de l’en arracher ? L’Empereur Guillaume II. En vérité, lui seul a donné au Sultan l’audace de persévérer malgré la réprobation de l’Europe ; lui seul a rendu possible, inévitable, cette guerre où sans doute la Grèce se précipitait follement, mais où la défaite de la Grèce était l’humiliation de la cause chrétienne et où l’Islam a puisé un renouveau de vie.

Quels titres pour prétendre à la gloire d’un prince chrétien ! Comment, chargé de ces souvenirs, a-t-il eu le courage de venir à Jérusalem au sépulcre du Christ ? comment a-t-il désiré, comment a-t-il accepté, d’être reçu par les Patriarches ? Devant eux, il s’est tu : et en effet, qu’aurait-il dit à ces Grecs dont il avait précipité la ruine en Thessalie et ignoré les massacres en Crète ? Qu’aurait-il pu répondre à ces Arméniens dont la destruction avait été tolérée, pour ne pas dire encouragée par lui ? Le terrain qu’il a offert aux catholiques, il le devait à la reconnaissance du Sultan pour le prince qui avait aidé à la défaite et à l’agonie de races chrétiennes. Voilà pourquoi aucun rite chrétien n’a eu confiance dans un tel protecteur. Et tout empereur d’Allemagne obtiendra malaisément plus de crédit. Si, en effet, Guillaume II fait exception dans sa lignée, c’est pour ses élans vers un rôle utile à l’humanité entière, par ses combats entre l’égoïsme et la générosité, où la générosité succombe toujours, mais du moins