irrégulières où sont massés des piquets de troupes, nous nous hâtons vers le Cénacle. Grâce au cavas, je franchis les barrages successifs de soldats et de police : un bataillon d’infanterie avec sa musique et un escadron de lanciers forment la dernière et épaisse défense à l’entrée d’un chemin couvert, semblable à ceux qui traversent en tunnel les enceintes des places fortes. C’est en effet la fin de la ville : le tunnel passé, le rempart est franchi, et voici en face de nous les hauts murs et la voûte en ogive du Cénacle. Entre la ville et le Cénacle la courte voie où nous nous avançons est comme un fossé que dominent à gauche les terrasses d’un couvent et à droite un mur bas de pierres sèches. Ce mur soutient à deux mètres à peu près au-dessus de la rue un terrain nu : voilà l’acquisition de l’Empereur. Le couvent est aux Arméniens, et ce sont eux qui avaient offert davantage de ce champ étendu à leurs pieds. Désormais ils ne pourront plus que voir, eux aussi, une terre aimée prise par l’Allemagne. Les tristesses ont droit d’asile les unes près des autres : je monte sur la terrasse des Arméniens. De là le terrain impérial déploie ses contours irréguliers, sa petitesse toute proche, et sa surface grise et nue. Au milieu du terrain un mât immense, aux enroulemens de mirliton blanc et noir ; du côté du Cénacle, une grande tente, qui, blanche aussi aux filets noirs, semblerait prussienne si elle ne portait ces mots inévitables : Thos. Cook et Son S. N 2 ; du côté de Jérusalem, face à la tente, et disposés en une ligne brisée qui suit les limites du terrain, les marins allemands. Devant la tente, une cinquantaine de personnes forment et dissolvent, par des évolutions discrètes, leurs petits groupes satellites autour d’un astre central qui se meut lui-même : la pointe argentée d’un casque et autour d’elle, les enroulemens d’un voile désignent, comme des attributs déjà familiers, ce dieu de mythologie. La cour a repris le costume de voyage qu’elle avait lors de l’entrée dans Jérusalem, et quelques-uns portent, comme le maître, le grand burnous blanc. Mais l’Empereur seul sait continuer les plis du voile par les draperies du manteau, donner à ces légers tissus une valeur d’idée, un charme de mystère, marcher dans un nuage, et la similitude des ajustemens rend plus profonde la différence des personnes. Dans cette cour de soldats, à peine cinq ou six robes : robe blanche d’impératrice, robes brunes de capucins, robes noires de prêtres, toutes allemandes, sauf la robe du Patriarche latin, Mgr Piavi. Et Guillaume a pour celle-ci plus d’attentions et de visibles bonnes
Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/332
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.