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par les portes discrètement ouvertes, se glissent dehors. C’est ici, gardien de la grande clef, c’est ici qu’il fallait remplir votre office et, pour l’honneur du culte, enfermer à double tour vos coreligionnaires. Les plus nombreux des fuyards ne sont ni les femmes ni les officiers, ni les touristes allemands : ce sont les chevaliers de Saint-Jean. On sait que le choral a été inséré par Meyerbeer dans le dernier acte des Huguenots : c’est à son chant qu’ils expirent et il meurt avec eux. Tels, nos seigneurs à grande cape et à petit chapeau s’échappent un par un du temple. Mais ils ne fuient pas cette fois les arquebusades catholiques, c’est Luther lui-même qui les assassine. Sauvés d’avoir trop chaud, ils soulèvent par de grands soupirs leurs pourpoints héroïques, et cherchent dans leurs chausses, près de leurs longues épées, le mouchoir de batiste dont ils éventent leur chevalerie.

Voilà les descendans des chrétiens intrépides dans la prière, la bataille et la charité, qu’on appelait les Hospitaliers ! Grâce aux vertus de ces grands ordres, aujourd’hui, les maîtres de l’oisiveté élégante peuvent promener, dans les réunions religieuses ou mondaines, des insignes obtenus sans mérites, et se donner du chevalier ou du commandeur : cela fait bien sur les cartes de visite, et sert d’adjuvant pour les mariages. En voulant que le souvenir des Hospitaliers fût présent à la place consacrée par leurs services et en appelant autour de lui leurs successeurs contemporains, Guillaume II a eu l’intelligence d’un décor, il n’a pas compris l’âme du passé. S’il tenait à ressusciter quelque chose de ces grands morts, il fallait faire porter devant lui leurs vieilles bannières, les attacher aux voûtes du temple, dresser autour du chœur ce qui reste de leurs armures. Ces armures vides eussent été moins vides d’eux que les successeurs de leur nom, étrangers à leurs œuvres, et dans lesquels n’a jamais habité l’austère vocation du moine-soldat.

Mais quel droit aurait l’Empereur sur ces reliques, et quelle place leur pourrait-il faire dans son temple allemand et luthérien ? L’Ordre de Saint-Jean est né de la foi catholique. C’est elle qui avait élevé à Jérusalem la double demeure de ces vaillans hommes : leur église et leur hôpital. Après la rupture de l’unité religieuse, cet Ordre resté catholique a continué à Rhodes et à Malte, sous des noms nouveaux, l’exercice de ses vieilles vertus. Il est demeuré intact parce que le plus grand nombre de ses chevaliers et la plupart de ses chefs lui vinrent, en tout temps,