la propriété venait d’être brutalement mobilisée ; il était essentiel de l’assurer, de la consolider, de la fixer dans sa nouvelle assiette, si la solidité et la durée du régime nouveau en dépendaient étroitement. Le Code civil fut donc à l’origine, et il est donc resté, par-dessus tout, un Code de la propriété.
Mais voici que depuis 1848, dans le pêle-mêle de la législation, s’élabore, confusément et fragmentairement, mais sans interruption, un Code du travail. Les décrets des 2 et 21 mars, celui du 9 septembre 1848, qui abolissent le marchandage et abaissent la durée de la journée de travail dans les manufactures et usines, sont les premiers d’une série qui, en cinquante ans, comprend une centaine d’actes officiels. Auparavant, sauf la loi du 22 germinal an XI « relative aux manufactures, fabriques et ateliers, » la loi du 10 avril 1834 sur les associations, et l’ordonnance du 26 mars 1843, concernant les mesures à prendre « quand l’exploitation d’une mine compromettra la sûreté publique ou celle des ouvriers, » on ne trouve rien, que des dispositions qui regardent les conseils de prud’hommes. Il semble bien que, dans la langue législative même, le terme d’ « usine » apparaisse, au sens actuel[1], seulement en 1848 (décret du 9 septembre). Mais, depuis lors, quelle abondance de textes ! et pour l’État, économiquement et politiquement construit comme il l’est, le travail n’est-il pas de beaucoup la plus importante des matières de législation ?
Je dis : pour tous les États d’à présent, car aucun ne le cède en ce point à la France, et plusieurs la devancent ou la dépassent. En Angleterre, Herbert Spencer a compté, de 1860 à 1884, cinquante-neuf actes « réglant à nouveau la conduite du citoyen » et, de 1884 à la fin de 1894, quarante-trois autres actes, relatifs « à la terre, à l’agriculture, aux mines, aux chemins de fer, aux canaux, aux navires, aux manufactures, au commerce, aux boissons, etc., » soit, au total, cent deux en trente-quatre ans ; et, ce que Spencer n’a pas relevé, mais qui mérite de l’être, chaque recrudescence d’activité législative correspond à une extension du droit de suffrage ; le phénomène est visible ici sous son double aspect : la transformation économique de l’État amène sa transformation politique, qui à son tour l’emporte insensiblement vers de nouvelles transformations économiques. — En Allemagne, de
- ↑ Il a, en effet, un tout autre sens dans le Code civil, art. 531 : « Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur navires, et généralement toutes usines non fixées par des piliers et ne faisant point partie de la maison, sont meubles. »