on a eu des exemples, encore récens, de versatilité impériale, et la manière dont le comte Badeni a quitté le pouvoir n’est pas faite pour rassurer absolument le comte Thun et le baron Banffy. Et ce n’est pas là une critique au souverain. Que peut-il faire lui-même en présence d’événemens dont la force révolutionnaire va chaque jour en augmentant ? En somme, il connaît la situation mieux que personne, et, au milieu de la plus furieuse tempête, tantôt en résistant, quelquefois en cédant, plus souvent encore en louvoyant, il a réussi jusqu’à ce jour, sinon à gouverner un navire ingouvernable, du moins à le maintenir à flot.
Les deux parlemens se sont réunis à quelques jours d’intervalle, à Vienne et à Pest, dans la seconde quinzaine de septembre. Pendant les vacances, il avait été presque impossible de suivre, tant elles étaient fréquentes, les allées et les venues des ministres, qui se réunissaient sur un point, allaient causer avec l’Empereur sur un autre, faisaient des projets, les défaisaient, en faisaient d’autres, et donnaient enfin le spectacle d’une prodigieuse activité de mouvemens. Jamais on n’avait vu autant de conférences ! Finalement, le comte Thun et le baron Banffy se sont mis d’accord sur un projet de renouvellement du Compromis, qui devait être soumis aux Chambres à la reprise de leurs travaux. Au reste, les deux ministres ne se faisaient pas beaucoup d’illusions sur le sort qui attendait leurs propositions, et ils avaient dû préparer un plan de conduite pour le cas où elles seraient rejetées. C’est même là-dessus qu’on les a interrogés tout d’abord : on leur a demandé ce qu’ils feraient dans l’éventualité du non-renouvellement du Compromis avant le 31 décembre, et ils ont naturellement refusé de répondre. Avant tout, ils devaient tenter un dernier effort pour enlever le vote des deux parlemens, et ce qui donne à croire que le comte Thun ne désespérait pas absolument d’y réussir, c’est l’activité des négociations qu’il a entamées avec divers groupes de la Chambre, notamment avec la droite et avec les Tchèques. Il n’a pas tardé à se convaincre que les exigences de ces derniers étaient très grandes. Quant à la droite cléricale allemande, il a pu lui attribuer un siège dans le gouvernement. Le ministre du Commerce, M. le docteur Bærnreither, ayant donné sa démission, a été remplacé par M. le baron Dipauli. Le premier représentait la grande propriété foncière allemande, et le second la droite, de sorte que M. le comte Thun retrouvait d’un côté ce qu’il perdait de l’autre. Ce qui a pu encore lui donner une lueur d’espérance, au moins pendant quelques jours, ou peut-être seulement quelques heures, c’est que l’opposition allemande, qui avait pratiqué jusqu’alors l’obstruction par le tapage, a paru répudier ce système.