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de la veille, qu’il sacrifiait aux radicaux. C’était plus que changer son fusil d’épaule ; c’était passer à l’ennemi avec armes et bagages. On était du moins en droit de le croire ; mais qui peut savoir si telle était l’intention définitive de M. Dupuy ? En tout cas, quelques jours plus tard, interpellé par M. Drumont sur la suspension de M. Max Régis, maire d’Alger, il a prononcé un discours excellent, sensé, ferme, éloquent. On connaît la situation de l’Algérie. Si l’antisémitisme a troublé quelques esprits en France, il a troublé l’ordre à Alger. Il a fallu prendre des dispositions en conséquence, suspendre le maire, présenter un projet de loi qui, comme à Paris et à Lyon, lui enlève la police municipale pour la confier au préfet, choisir enfin un préfet capable, par son intelligence et par son caractère, de faire face à une situation difficile et d’en assumer les responsabilités. On l’a fait : nous rendons volontiers cette justice au ministère, et aussi à la Chambre, car elle a donné à M. Dupuy une majorité assez forte pour le maintenir dans la voie où il s’était engagé. Il y a du hasard et de l’imprévu dans cette politique. Un jour, on est obligé de blâmer avec énergie ; le lendemain, on est heureux d’approuver avec un certain étonnement ; mais l’inquiétude subsiste, parce que le gouvernement ne semble pas maître de lui-même. S’il fallait une preuve de plus qu’il ne s’appartient pas, on la trouverait dans ce qui se passe au moment même où nous écrivons. M. Dupuy a fermé autrefois la Bourse du travail ; aujourd’hui, il approuve le vote du conseil municipal d’Albi qui attribue un secours de 12 000 francs à la Verrerie ouvrière, fait sans précédent et qui se passe de commentaire. On sait d’où vient M. Dupuy, on se demande où il va et où il conduit la Chambre. Mais la conduit-il ?

Du ministre, passons à la Chambre. Elle vient de terminer ses deux sessions annuelles, l’une ordinaire, l’autre extraordinaire : son impuissance y est apparue si manifeste, qu’il est impossible de ne pas en être préoccupé. Nous n’avons jamais montré beaucoup de crédulité à l’égard des réformes dont on nous a si longtemps assourdis ; pourtant, qui aurait pu croire qu’elles se solderaient très exactement à zéro, sans qu’on essayât même de faire quelque chose ? C’est ce qui est arrivé, et c’est ce qui arrivera de plus en plus. M. Peytral, avons-nous dit, a déposé un projet de loi qui introduit quelques réformes dans notre système fiscal. Elles consistent à supprimer l’impôt personnel mobilier et l’impôt des portes et fenêtres, et à les remplacer par d’autres qui, sous un nom différent, leur ressembleraient d’assez près. Le revenu, comme cela se fait aujourd’hui, continuerait d’être présumé d’après des signes extérieurs dont on augmenterait le nombre, sans