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le dernier mot de la philosophie allemande à la fin de ce siècle.

Je n’ai pas besoin de dire que M. Ziegler goûte peu les maximes de Frédéric Nietzsche et son romantisme politique. Il a le cœur trop généreux pour ne pas revendiquer le droit des masses, et il estime qu’après tout le suffrage universel a du bon, qu’on le calomnie. Mais il pense aussi que c’est M. de Bismarck qui a créé de toutes pièces l’empire allemand, et que les grands hommes d’État sont un article de première nécessité. Mon royaume pour un cheval ! Il est des cas où les peuples donneraient plus d’une pinte de leur meilleur sang pour trouver un homme. Malheureusement la démocratie sociale est d’humeur soupçonneuse, tracassière, ombrageuse ; le génie l’inquiète, la médiocrité lui paraît plus rassurante, et s’il ne tenait qu’à elle, certains œufs n’écloraient jamais.

M. Ziegler se plaît à croire que tout finira par s’arranger, que la démocratie sociale, plus raisonnable que ne le pensent ses ennemis, se résignera à compter avec les inégalités naturelles et à faire quelque chose pour les êtres privilégiés. Il espère que le XXe siècle aura ses héros, qui seront des hommes à la fois vaillans et doux, tapfer und milde, assez vaillans pour ne pas craindre les coups et pour ramasser le gant qu’on leur jettera, assez doux pour comprendre ce qui se passe dans le cœur des petits et joindre à l’autorité cette grâce miséricordieuse qui triomphe des résistances et des refus. À vrai dire, c’est un rêve qu’il fait, c’est un acte de foi. En vain a-t-il fouillé du regard les brumes de l’horizon, il ne connaît point de visage ces héros doux et vaillans ; il n’a entendu ni le son de leur voix, ni le joyeux hennissement de leurs chevaux, ni le cri des aigles qui leur font escorte, ni les chants de liesse et de triomphe d’une foule en délire. Du haut de sa tour, l’avenir lui apparaît comme une longue route blanche où personne ne passe ; il n’aperçoit encore que l’herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie.


G. VALBERT.