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la chirurgie oculaire. Si l’on en instille dans l’œil cinq à dix gouttes de la solution au centième, on produit l’insensibilisation de la cornée et de la conjonctive, et, — circonstance qui est encore d’un certain prix, lorsqu’il s’agit d’opérations sur cet organe, — les parties atteintes sont rendues exsangues par la contraction des vaisseaux, de sorte qu’il y a en définitive, pour le patient, à la fois économie de douleur et économie de sang.

Les particularités de cette action remarquable de la cocaïne sur l’œil ont été progressivement connues plus tard. On a vu, par exemple, que la sensibilité à la douleur disparaît la première ; la surface du globe oculaire devient inaccessible à la souffrance tout en restant sensible à l’action des contacts et à celle du chaud et du froid : il y a analgésie. Un peu plus tard, la sensibilité tactile s’émousse, et, enfin, la sensibilité à la chaleur s’évanouit à son tour. C’est un exemple remarquable de la dissociation des sensibilités. Outre qu’elle rend les membranes de l’œil indolores et exsangues, la cocaïne agit sur la pupille pour la dilater, à la façon de l’atropine, mais avec quelques différences toutefois, dont celle-ci : que la pupille cocaïnisée se contracte sous l’action d’une vive lumière, ce qui n’arrive pas avec l’atropine. Les paupières sont écartées, le globe est figé dans l’immobilité. Nous négligeons les autres détails.

Le précieux agent qui faisait ainsi son apparition en ophtalmologie avait été obtenu vingt-cinq ans auparavant, en 1859, par un chimiste allemand, Niemann. C’était d’ailleurs la troisième fois qu’on le découvrait et le préparait, en moins de quatre années, tant en Amérique qu’en Allemagne : ce fut la dernière ; la cocaïne ne devait plus tomber dans l’oubli.

L’action anesthésiante et l’effet de resserrement des vaisseaux, qu’elle exerce sur les membranes de l’œil, se reproduisent sur les autres muqueuses, du larynx, de l’oreille, des fosses nasales, des gencives, etc. Elle les insensibilise et les décongestionne ; pour un moment elle apaise l’inflammation dont elles sont le siège. Aussi, après avoir débuté dans la chirurgie de l’œil, la cocaïne se répandit-elle rapidement dans la chirurgie spéciale de ces divers organes et jusqu’en gynécologie et en obstétrique. Un dernier pas restait à faire dans cette marche de la cocaïne envahissant les diverses annexes de la chirurgie. Il fallait l’introduire dans la chirurgie proprement dite. C’est ce qu’a tenté de faire, dans ces dernières années, un chirurgien français, M. Paul Reclus. Il