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leur valeur, et à transformer ainsi du cognac à 25 francs la bouteille en un litre de trois-six à 50 centimes. En Suisse les consommateurs avaient été loin d’apprécier le service qu’on avait prétendu leur rendre, lors de l’établissement du monopole, en leur livrant des produits parfaitement épurés, devenus par là même insipides, et le gouvernement fédéral s’était vu contraint, pour les satisfaire, d’ajouter à ses liquides officiels ce que M. Léon Say nommait « un bouquet d’impuretés. »

Ces « impuretés » elles-mêmes, contenues dans les alcools de raisins, pommes, cerises ou cannes à sucre, n’ont absolument rien d’alarmant. Comme l’a très spirituellement établi M. Duclaux, directeur de l’Institut Pasteur, il faut tenir compte de la dose : « Nous consommons tous les jours, dit-il, sans trouble et même avec quelque satisfaction, des substances qui nous tueraient si on les absorbait à l’état concentré. Il y a du poison dans notre thé, dans notre café, dans notre bouillon, d’où l’on peut retirer de la peptone, mortelle dans la circulation générale. » La viande, le poisson, renferment des alcaloïdes dangereux, et la salive, que nous avons dans la bouche, contient, à raison d’un milligramme par 19 grammes, assez de ptomaïne pour tuer un moineau.

Il existe, dans les bons rhums, un toxique qu’eussent apprécié les Borgia : le furfurol, — en français huile de son, — 83 fois plus actif que l’alcool pur sur les lapins qui ont été ses victimes. Dix grammes suffisent pour tuer un adulte ; seulement, étant donné la proportion ordinaire de furfurol par litre de rhum — 20 milligrammes — l’adulte devrait, pour s’empoisonner, avaler 500 litres de ce spiritueux et, s’il y parvenait, on ne saurait dire jusqu’à quel point le furfurol serait alors responsable de la catastrophe.

Les seules boissons hygiéniques sont celles dont on n’abuse pas ; si l’eau-de-vie, même impure, sous ses aspects multiples, est sans danger à doses médiocres et espacées, l’alcool le mieux épuré est fatal à qui l’ingurgite quotidiennement par grandes lampées. Il n’y a donc qu’un remède à l’alcoolisme, et M. de La Palisse l’aurait trouvé : c’est de diminuer la consommation de l’alcool ; et il n’y a qu’un moyen de diminuer la consommation de l’alcool, c’est de le renchérir. Encore le résultat n’est-il pas certain, puisque les droits, depuis 1860, ont quadruplé et que la consommation a plus que doublé. Mais, s’il n’est pas infaillible, ce procédé a pour lui d’être le seul. Se répandre en articles que les buveurs ne lisent pas, multiplier les congrès et les conférences auxquels ils