Taxe subtile entre toutes, et dont l’extrême mansuétude n’est comparable qu’au profit de 330 millions par an, tiré par le même État de la permission, aux citoyens octroyée, de gargariser leur gorge avec la fumée d’une herbe odoriférante, ou de chatouiller leurs narines, en les bourrant de ce végétal réduit en poudre.
De sorte que, parmi trois milliards de recettes nationales, 600 millions — le cinquième — proviennent de tributs bénévolement levés sur des jouissances de pur luxe. Vapeurs berceuses de l’alcool, jolis nuages bleuâtres du tabac, doux impôts de chimère et d’ivresse, vous avez droit au respect du financier, à l’estime du législateur ! Il se rencontre nombre d’indiscrets pour abuser des meilleures choses de ce monde ; en ce qui touche particulièrement les « spiritueux, » faut-il, pour quelques cas dûment constatés de delirium tremens, maudire, avec les hygiénistes, ce présent moderne de la science ?
Quelque étroites, en effet, que soient les relations de l’ivrognerie avec l’alcool, celui-ci pourtant est né d’hier, tandis que celle-là possède les plus respectables traditions d’antiquité. Il n’est même pas sûr que les breuvages préhistoriques ou légendaires, amrita des Indes, « liqueur d’oubli » des Scandinaves, et jusqu’à ce jus recuit et condensé auquel les Grecs donnaient le nom de « vie » — Bios, — ne fussent pas aussi propices à l’ébriété. Mais, si la propriété bienfaisante de « tuer les vers » est déjà reconnue à l’alcool par un Thesaurus sanitatis de 1577, les ouvriers du XVIe siècle n’auraient pu, chaque matin, « tuer le ver, » avec une application aussi soutenue que ceux de nos jours, pour cette raison que l’eau-de-vie ne sortait guère de l’officine des « apothicaires épiciers » qu’en de rares circonstances.
Elle était toutefois connue depuis longtemps en France. « Le croirait-on, écrit Arnaud de Villeneuve au XIIIe siècle, on tire du vin une eau qui n’en a ni la couleur, ni la nature, ni les effets. On a donné à cette eau de vin le nom d’eau-de-vie et, certes, ceux qui en éprouvent l’efficacité trouvent le nom bien justifié, puisque certains modernes ont avancé que c’était une eau éternelle, une eau d’or, à cause de la sublimité de son action. »
On sait cruelles étaient les idées du moyen âge sur les propriétés mystérieuses de l’or. La vertu curative qu’on lui attribuait détermina les marchands à introduire dans des boissons en vogue quelques parcelles visibles de ce métal ; ce n’était pas seulement par la bouche que les châtelains opulens absorbaient ce tonique