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fait très galamment son ministre des affaires étrangères devant le Reichstag. « Nous ne pouvons pas nous dissimuler, a dit M. de Bulow, en présence de la façon dont on a pris en main le problème crétois, que ce n’est pas le nombre des cuisiniers qui rend la soupe meilleure. » En fait, l’empereur Guillaume avait perdu tout moyen de s’opposer au choix des autres puissances, et de rendre à son ami le sultan le service qu’il aurait le plus apprécié. On assure que, dans les conversations que les deux souverains ont eues récemment à Constantinople, il n’a pas été question entre eux de la Crète ; nous le croyons sans peine, car que se seraient-ils dit ? C’est le jour même où l’empereur entrait à Constantinople que les dernières troupes ottomanes quittaient les eaux candiotes. La coïncidence était fâcheuse.

Ce dénouement ne se serait pourtant pas produit, ou du moins il aurait été retardé, si la Porte, comprenant mieux la situation, avait mis tous ses soins à éviter un conflit qui ne pouvait que très mal tourner pour elle. L’Europe, après tant d’autres, faisait un nouvel aveu d’impuissance lorsque, au mois de juin dernier, à la suite d’une longue négociation dont la Russie avait pris l’initiative, elle organisait, sous le contrôle des amiraux, un comité exécutif pris dans l’assemblée crétoise, et partageait l’administration de l’Ile entre ce comité, d’une part, et les amiraux, de l’autre. C’était la reconnaissance d’une assemblée qui avait été considérée jusqu’alors comme révolutionnaire, et à laquelle on donnait un titre régulier pour administrer la plus grande partie du pays. Cette solution bâtarde se contentait de perpétuer un statu quo qui pesait à tout le monde, et qui ne durait que par ce qu’on espérait le voir cesser bientôt. Elle ne pouvait satisfaire ni l’assemblée qui voulait être complètement débarrassée de la sujétion de la Porte, ni la Porte qui voulait conserver ses droits souverains et continuer de les exercer, ni les amiraux qui sentaient le mécontentement grandir de part et d’autre et qui annonçaient comme inévitable une explosion prochaine. Toute la question était de savoir d’où elle viendrait : elle est venue des musulmans. Les amiraux, pour se procurer les ressources indispensables à la nouvelle administration, avaient décidé de percevoir eux-mêmes les dîmes et les droits de douane. Les musulmans dépossédés ont perdu la tête et se sont livrés aux massacres de Candie. Dès lors le gouvernement provisoire, si péniblement institué, avait vécu. Le comité exécutif donnait sa démission et ne la reprenait provisoirement que pour laisser le temps de trouver autre chose. Mais quoi ? L’initiative, cette fois, est venue du gouvernement italien. L’Italie, qui avait fait acte d’indépendance en restant dans le concert