Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un nouvel ambassadeur à Londres ; M. Paul Cambon ne fera pas mieux que M. le baron de Courcel, qui avait la confiance des deux gouvernemens, et dont la mission n’a pris fin que parce qu’il l’a voulu, mais on peut entamer avec lui des affaires de plus longue haleine, puisqu’il arrive à Londres pour y rester longtemps. Son envoi en ce moment montre, de la part du gouvernement de la République, le désir de ne laisser aucune solution de continuité dans ses rapports avec l’Angleterre. Nos sentimens sont ce qu’ils doivent être après ce qui s’est passé, mais la politique de bouderie n’est pas la nôtre, elle serait au-dessous de notre dignité. Nos intérêts seuls nous touchent ; nous sommes prêts à les discuter avec l’Angleterre, à les défendre s’il le faut, mais aussi à les concilier avec les siens, dans toute la mesure où elle nous le rendra possible. En politique, on doit, sinon oublier bien des choses, au moins les considérer comme périmées. C’est du côté de l’avenir que nous regardons. S’il nous faut encore subir quelques discours, nous continuerons d’opposer un silence imperturbable à une aussi extraordinaire verbosité, et nous ne désespérons pas que cette attitude ne nous vaille des sympathies, même parmi les nations dont M. Chamberlain se croit si sûr d’avoir monopolisé l’amitié.

Les affaires de Crète, qui viennent d’aboutir, non pas sans doute à un dénouement définitif, mais à un résultat très important et, à beaucoup d’égards, décisif, ont montré qu’au milieu d’autres préoccupations, nous savions persévérer dans la politique que nous avions adoptée, sans que rien ne pût nous en détourner ou nous en distraire. Les quatre puissances, depuis qu’elles sont livrées à elles-mêmes, ont donné le spectacle et le modèle du plus parfait accord. Cela est dû, pour une grand part, aux quatre amiraux qu’elles avaient en Crète. Lord Salisbury, au banquet du lord maire, a fait l’éloge de l’amiral anglais en déclarant qu’il avait fait la meilleure des diplomaties. C’est aussi notre sentiment, et peut-être lord Salisbury ne croyait-il pas si bien dire. On a vu d’ailleurs un de ces amiraux devenir ministre des affaires étrangères de son pays et s’acquitter de sa tâche nouvelle avec une habileté qui ne laissait rien à désirer. Qui aurait cru qu’un condominium militaire réussirait si bien, et qu’il se terminerait sans qu’aucune des parties cherchât à en tirer un avantage exclusif ? Tout arrive.

Au moment où nous écrivons, le prince Georges de Grèce est sur le point de quitter Athènes pour se rendre à La Canée. Il s’y rend avec le titre de haut commissaire des puissances, chargé d’opérer la