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bien des compromis et ignore bien des scrupules. Honnêtes gens, si l’on y tient, mais qui manquent singulièrement de délicatesse !

Tout cela est exact. Il se peut que cette morale soit moins pure que celle du stoïcisme et qu’elle soit assez éloignée de l’idéal chrétien : encore est-ce la morale d’une société organisée, qui a de la cohésion, qui se tient, et qui veut se tenir, qui croit en elle-même, et pense qu’elle a des droits dont le premier est d’exister et des devoirs dont le premier est de durer. Cette société fait une distinction, comme elle peut, entre ce qui est bien et ce qui est mal. Elle range d’un côté les honnêtes gens et d’autre côté les coquins, quitte à modifier, s’il y a lieu, un classement qui ne saurait être qu’approximatif. Elle est d’avis que, s’il y a dans la destinée bien des injustices et dans les conditions bien des inégalités, elle les répare en quelque manière en donnant son estime, non au succès, mais au mérite. Elle se doute que parmi les principes dont elle se recommande plusieurs sont des conventions et elle s’efforce de distinguer celles-ci de ceux-là. Elle se rend compte que son organisation n’est pas parfaite, et elle s’efforce de l’améliorer. La morale du théâtre d’aujourd’hui est justement le contraire. C’est celle d’une société qui ne croit plus à rien, mais surtout qui ne croit pas à su propre durée ; qui a pris le parti de finir et ne veut plus que finir gaiement ; et qui, uniquement soucieuse de s’amuser, se donne à elle-même le spectacle de sa décomposition et de sa déliquescence, afin d’y trouver du plaisir.

Essayez de faire la revue du personnel de la comédie nouvelle. La femme n’y apparaît plus qu’à l’état de révoltée. Elle est ibsénienne, individualiste, féministe ; ou peut-être n’a-t-elle cure d’aucune de ces belles choses et le pédantisme des théories ne lui fait-il pas illusion ; mais elle trouve commode de secouer toute espèce de joug, de suivre tout uniment son bon plaisir et de se débarrasser de ce qui la gêne. En vain lui objecterait-on qu’on ne se souvient pas d’avoir jamais vu ni une société sans hiérarchie, ni une famille sans chef. Elle se soucie de la famille comme de la société et de l’une et de l’autre comme du temps qu’il fait. La vie est courte, et on n’a pas assez de loisir pour écouter les vendeurs de morale. La « révoltée » d’aujourd’hui est parente de la femme incomprise d’autrefois. Mais il faut tenir compte du progrès. La femme incomprise cédait à une illusion qui pouvait avoir sa noblesse. Elle avait du vague à l’âme, et elle croyait sincèrement que ses langueurs, ses tristesses, ses rêveries impatientes venaient de l’âme. La femme d’aujourd’hui ne parle plus de son âme, et si on lui en parlait, ce jargon suranné la ferait sourire. Mais elle a des sens, et comme d’ailleurs