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cheval, il remplit bien son personnage d’empereur et d’empereur allemand. L’immobilité fière et du visage et de l’attitude, le geste rare, bref, condescendant, dédaigneux de sa main droite, qui pour tout salut se porte à son casque, révèlent l’empereur de tous les empereurs, l’Allemand de tous les Allemands le plus pénétré de sa grandeur et le plus enflé de ses droits. Mais l’uniforme, le geste, la personne sont comme idéalisés par un grand voile blanc qui s’enroule autour du casque, s’entr’ouvre devant le visage, le protège à droite et à gauche contre une curiosité trop précise, laisse seulement deviner derrière son rempart onduleux l’éclat des yeux, la courbe fière du nez, le pli héroïque de la moustache blonde, retombe sur les épaules, et flotte sur le dos. Ce rien métamorphose tout. Il donne je ne sais quel prestige d’insaisissable, de mystérieux, d’irréel, de symbole, de beauté à cette apparition blanche sur un cheval blanc. Ce rien révèle l’originalité la plus personnelle de ce monarque, le caractère qu’il ne tient d’aucun des siens, son besoin d’imposer aux imaginations par les ressources de son imagination, son désir d’accroître l’ancien prestige du pouvoir par des prestiges nouveaux, sa puissance d’évoquer des visions imprévues par un art instinctif et profond des lieux, des occasions, des costumes même, sa volonté d’attacher à son pouvoir réel des ailes de légende, de compléter le souverain par le héros du roman, et d’unir à l’aigle noire de la Prusse le cygne blanc du Saint-Graal. Le même sens de l’originalité et du décor apparaît dans l’ordonnance de la suite immédiate, et l’on reconnaît encore là l’œil du maître. Une cinquantaine d’officiers superbes, quelques-uns gigantesques, l’entourent : le costume colonial jaune que portent les officiers anglais dans l’Inde a servi de point de départ à la fantaisie impériale. Mais les ornemens militaires des épaules, la large ceinture de cuir qui soutient le revolver, la gourde et la bourse, et fait penser au bourdon et à l’aumônière, la couleur de ces vêtemens basanés comme des pourpoints de buffle, le cimier du casque et le couvre-nuque tombant sur les épaules avec la forme du réseau d’acier qui tombait du heaume, donnent à cette troupe un faux air de croisés, — de croisés, il est vrai, qui auraient la jaunisse.

Mais, à eux sont mêlés en nombre presque égal des hommes qui n’appartiennent pas à l’armée, la maison civile, j’imagine, et les auxiliaires indispensables à un empereur quand il veut faire l’opinion, écrivains, télégraphistes et photographes. Ceux-là,