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tournure, moins elliptique, serait moins rapide, et surtout moins « parlée : » don Juan raisonnerait, il ne « causerait » plus. Oui, dit Horace à Arnolphe,

Oui, mon père m’en parle, et qu’il est revenu,
Comme s’il devait m’être entièrement connu.
(École des femmes, I, 6.)

Que gagnerions-nous à ce que Molière eût écrit : « Oui, mon père m’en parle et (à, ce qu’il m’en dit par ailleurs, il ajoute) qu’il est revenu ; » et qui ne voit ce que la vivacité du dialogue y perdrait ? Voici encore deux vers des Femmes savantes :

Faites, faites paraître une âme moins commune
A braver, comme moi, les traits de la fortune.
(Femmes savantes, V, 4.)

Rien n’était plus aisé que d’écrire :

En bravant, comme moi…

ou encore :

Et bravez, comme moi, les traits de la fortune.

Pourquoi Molière ne l’a-t-il pas fait ? Et si l’on répond encore, puisque enfin on n’a guère fait jusqu’ici d’autre réponse : « C’est qu’il improvisait ; » je réponds à mon tour : « Oui, et en improvisant, il écoutait son personnage ; il entendait parler Philaminte ; il écrivait sous la dictée du modèle qu’il avait devant lui. » Les exemples abonderaient de ces « incorrections » qui en sont, si l’on le veut, pour les yeux, mais non pas pour l’oreille. Les dialogues sont faits pour être parlés, comme les sermons pour être « prononcés ; » je dirais volontiers comme les lettres, celles de Mme de Sévigné, par exemple, étaient faites pour être « lues à haute voix, » en famille ou dans le cercle de ses amis. Ils y reconnaissaient la vivacité prime-sautière de sa conversation, et un excès de régularité les eût au contraire choqués. Pareillement Molière, et pareillement tous leurs contemporains, ou presque tous, La Fontaine entre autres, jusque dans ses Fables, et Racine, et Boileau lui-même.

On l’oublie encore quand on reproche à Molière, comme l’a fait Scherer, de « cheviller abominablement, » et que