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composées le plus rapidement. Qu’est-ce à dire, sinon que l’explication, que la raison des incorrections ou des négligences qu’on lui reproche, de son galimatias ou de ses barbarismes, est ailleurs ? Mettons à part son jargon, qu’il eût aisément évité, s’il n’avait cru devoir quelquefois se guinder pour plaire aux beaux esprits et à la Cour. Les défauts du style de Molière ne sont pas seulement le revers ou la rançon de ses qualités ; ils en sont la condition même. Il eût écrit moins bien, s’il avait mieux écrit. Et ceux qui l’ont jugé si sévèrement se sont jugés eux-mêmes, pour l’avoir prétendu juger à leur mesure, au lieu de la sienne, ou plutôt encore pour avoir méconnu le vrai caractère de son style, l’objet de sa « rhétorique, » et les exigences premières de la représentation ou de la peinture de la vie.


II

L’une des premières leçons que donnent encore nos rhétoriques, c’est qu’il ne faudrait pas écrire comme l’on parle, et assurément elles ont raison, — si l’on parle mal. Mais, si l’on parle bien, quel motif aurait-on d’écrire autrement qu’on ne parle ? On ne pensait pas, du temps de Molière, qu’il pût y en avoir ; et, tout au contraire, non seulement avec les précieuses, avec Voiture et avec Balzac, mais avec Vaugelas en personne, on estimait généralement que « la parole qui se prononce est la première en ordre et en dignité, puisque celle qui est écrite n’est que son image, comme l’autre est l’image de la pensée. » A la vérité, cette opinion, que j’emprunte à la célèbre Préface des Remarques sur la Langue française, était relativement nouvelle aux environs de 1640, — les Remarques sont de 1647, — et il semble bien que les écrivains du siècle précédent, Rabelais, Ronsard surtout, Montaigne, se fussent plus souciés de la « figure » que du son ou de la « musique » des mots. Ils étaient de la famille des visuels : ce sont ceux qui voient leur phrase écrite plutôt qu’ils ne l’entendent parlée. Mais, sous l’influence de diverses causes, — telles que le développement de l’esprit de cour ou de conversation ; la nature des modèles qu’on imite, et qui de Grecs sont devenus uniquement Latins ; telles encore que la fortune des « genres communs, » éloquence de la chaire et théâtre, — voici, qu’entre 1610 et 1640, presque tous nos écrivains deviennent ce que l’on appelle aujourd’hui des auditifs, et leur style un style oratoire.