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tous les points du territoire, et pour la défense d’une revendication matérielle, ce peuple que la politique a émasculé et éloigné de l’idée révolutionnaire. »

Rendus prudens par l’échec d’une tentative prématurée faite au mois de juillet, ils manœuvrent d’ailleurs habilement et commencent par transformer la grève des terrassiers en grève générale du bâtiment. Leur appel a déjà été entendu à la suite de l’échec de la deuxième tentative de conciliation le 4 octobre. Les serruriers réunis à la Bourse du Travail déclarent adhérer à la grève générale du bâtiment. Les peintres se mettent également en grève et formulent leurs revendications. Les ouvriers débardeurs des ports et entrepôts adhèrent à leur tour. Les maçons et tailleurs de pierre se réunissent pour décider la grève, et si la question reste en suspens, le travail, en fait, est arrêté par suite de l’envahissement des chantiers. Les sculpteurs suivent l’exemple des peintres, et le mouvement tend à se généraliser.

Le préfet de la Seine et le préfet de Police croient devoir prévenir M. Brisson, président du Conseil des ministres, des desseins des révolutionnaires. Ils lui déclarent que les renseignemens recueillis par eux ne leur laissent aucun doute et que le plan des organisations syndicales qui poussent à la grève générale est hautement avoué : il s’agit, pour une action politique, de créer une agitation perpétuelle. Le président du Conseil, très effrayé, se décide enfin à faire venir de partout des troupes destinées à renforcer la garnison de Paris, insuffisante pour assurer les services d’ordre. Tous les chantiers sont gardés par des postes d’infanterie ou des piquets de cavalerie en tenue de campagne. Au Champ-de-Mars, aux Tuileries, des troupes bivouaquent et les quais de la Seine ont l’aspect d’un vaste camp. Les ouvriers fraternisent volontiers avec les soldats, et, sous l’émotion causée par les derniers incidens de l’affaire Dreyfus, la population en général fait aux officiers et à leurs hommes l’accueil le plus cordial et le plus enthousiaste. Les journaux évaluent à plus de 30 000 hommes les renforts dirigés sur Paris et publient chaque jour la liste des régimens qui arrivent. Ces précautions sont loin d’être inutiles en présence des étrangers suspects qui ne cessent d’accourir et de la fermentation qui règne à la Bourse du Travail, où 7 000 à 8 000 grévistes sont en permanence, et où tous les syndicats tiennent successivement leurs réunions.

Le dimanche 6 octobre, le travail est partout arrêté et tous les