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Nous ne reprendrons le travail qu’à la condition expresse que les entrepreneurs s’engagent par contrat à nous payer les prix que nous réclamons, soit 0 fr. 60 et 0 fr. 70 de l’heure, ou qu’une loi soit votée par la Chambre des députés pour nous assurer ce salaire. Toutes les autres solutions doivent être considérées comme des atermoiemens.


III. — LA GRÈVE GÉNÉRALE

Pendant ces laborieuses négociations entre le Conseil municipal et les chambres syndicales, la situation s’était singulièrement aggravée. Malgré le calme apparent des ouvriers, les esprits commençaient à se monter, et de tous côtés arrivaient à Paris des aventuriers de la pire espèce, étrangers aux corporations en lutte, mais à la recherche de toutes les occasions de désordre. Les révolutionnaires ardens, allemanistes, syndicaux révolutionnaires, anarchistes, appartenant à ces innombrables sectes que MM. de Seilhac et Roussel ont essayé de classifier, affluent à la Bourse du Travail et y fomentent une violente opposition contre les politiques et les parlementaires du Conseil municipal. Peu à peu le personnel change, les rhéteurs du parti marxiste disparaissent et sont remplacés par l’ex-député Faberot, les syndicaux révolutionnaires Briand et Riom, par M. Guérard, le secrétaire général du Syndicat des chemins de fer et d’autres non moins violens. Dès les premiers jours d’octobre, ils attendent l’occasion et cherchent à exploiter les fautes commises pour faire dégénérer la grève des terrassiers en grève générale.

Cette idée de la grève générale, lancée, au lendemain de la fermeture de la Bourse du Travail en 1893, au Congrès corporatif de Paris, a triomphé depuis dans tous les congrès, malgré les efforts des marxistes et des broussistes. A Nantes en 1894, à Limoges en 1895, à Tours en 1896, à Toulouse en 1897, elle a été préconisée sans relâche, votée par des majorités sans cesse croissantes, et un comité permanent en prépare l’exécution. Elle est devenue le mot d’ordre de tous les impatiens, de tous les socialistes qui n’attendent plus rien de l’action légale. Pour eux, « vingt-cinq ans de parlementarisme ont tué les plus fermes croyances dans la vertu du suffrage universel, et maintenant il n’est pas un prolétaire conscient qui n’espère en la suprême ressource, la force. » Et la seule manière rationnelle de déployer cette force, c’est, d’après l’un de leurs orateurs, « la grève générale, qui doit être le moyen de forcer à descendre dans la rue, le même jour, sur