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en effet assez difficile à comprendre et à justifier. Ils ne pouvaient se poser en arbitres, puisque la Ville était partie au débat ; que les travaux dont il s’agissait étaient exécutés pour son compte ; et que l’administration municipale était liée vis-à-vis des entrepreneurs par des contrats réguliers résultant des adjudications. En réclamant une augmentation de salaire qui n’était pas inférieure à 20 pour 100, le Conseil modifiait donc dans un sens onéreux pour les adjudicataires les conditions acceptées par lui. D’autre part, il ne lui appartenait pas de se faire juge dans sa propre cause et d’interpréter lui-même la portée des conventions ; en le faisant, il sortait de ses attributions et pouvait encourir de graves responsabilités. M. Navarre et le bureau le savaient bien, mais, en agissant comme ils venaient de le faire, ils avaient un double but. Ils se rendaient populaires et ils entrevoyaient la possibilité d’amener les entrepreneurs à résilier leurs contrats. C’était alors la mise en régie des travaux, l’ouverture dans tout Paris de ces chantiers et ateliers nationaux restés chers aux socialistes français, et acceptés comme mesure de transition par Karl Marx, César de Paepe et les nombreux disciples de Benoit Malon. Le groupe socialiste du Conseil municipal était presque entièrement acquis à cette idée et ne voyait pas sans un secret espoir la formation de cette sorte de garde prétorienne mise au service de la commune de Paris. Les intérêts corporatifs étaient relégués au second plan. Le groupe socialiste du Conseil était décidé à tenter une campagne décisive, comptant sur les embarras du cabinet Brisson.

Mais d’autres révolutionnaires allaient également entrer en ligne. Les allemanistes, blanquistes et autres fractions du parti jugeaient le moment venu de tenter la grève générale, objectif de tous les congrès ouvriers depuis le Congrès de Nantes en 1894, et le prologue obligé de la révolution sociale. Les divisions survenues entre les différens groupes socialistes et l’opposition faite à l’idée de la grève générale par les guesdistes, les marxistes, les politiciens et les parlementaires, en avaient jusqu’alors retardé la réalisation. L’occasion semblait tout indiquée pour faire dégénérer la grève du bâtiment et organiser la guerre de classes.

D’autres menées plus dangereuses encore s’ourdissaient dans les milieux favorables à la révision du procès Dreyfus. Certains journaux se faisaient remarquer par leurs souscriptions. Le convent maçonnique réuni rue Cadet envoie, le 19 septembre,