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200 grévistes l’envahissent et forcent les ouvriers à abandonner le travail. La police est impuissante à protéger les ouvriers qui voudraient travailler, et les grévistes font successivement fermer tous les chantiers, à l’exception de ceux dont les entrepreneurs ont payé les prix de série. A 4 heures, les chantiers de l’Exposition sont envahis ; tous les travaux sur la voie publique sont abandonnés ; 18 000 ouvriers sont sans travail. Le mouvement s’étend à la banlieue. Un conseiller prud’homme, nommé Chevalier, conseiller municipal de Saint-Ouen, un des instigateurs de la grève, se met à la tête d’une bande de grévistes pour aller débaucher les ouvriers qui travaillent encore au pont de Saint-Ouen. 3 000 terrassiers et manœuvres, réunis dans la journée à la Bourse centrale du Travail, rue de Bondy, ratifient la déclaration de grève, et s’engagent à ne reprendre le travail que lorsque les entrepreneurs auront accepté leurs réclamations. Le 15 et le 16, l’agitation continue ; des patrouilles de grévistes parcourent les chantiers pour faire cesser le travail ou en empêcher la reprise ; il se produit quelques rixes au chantier de la Cour des Comptes et au pont d’Iéna, des charrettes sont dételées et renversées, des ouvriers sont menacés et même frappés, le chantier de Mazas est envahi et le travail arrêté ; cependant l’ensemble des grévistes reste très calme et s’abstient de tout acte de violence.

Tous les jours, le syndicat tient une réunion dans la grande salle des grèves de la Bourse du Travail ; on y entend successivement presque tous les députés et conseillers municipaux socialistes de Paris, qui viennent soigner leur popularité. Dès les premiers jours, on y voit accourir les députés Coûtant, Renou, Paulin Méry, Baulard, Dejeante. A la séance du 16, présidée par le citoyen Chevalier, le député Laloge fait repousser une proposition de certains entrepreneurs qui offrent de prendre l’engagement sur papier timbré de payer pendant cinq années consécutives les prix de la Ville de Paris et de ne plus réclamer la signature. La réunion décide l’envoi de délégués au Syndicat des ouvriers des ports (débarquemens en Seine), et au Syndicat des démolisseurs, pour leur demander la cessation du travail.

La grève est à peu près générale pour toute la corporation et, le 17, la Chambre syndicale des démolisseurs et le syndicat des débardeurs déclarent adhérer à la grève. La réunion de la Bourse du Travail prend alors le caractère d’une véritable manifestation ; au dire de la Petite République et de la Lanterne,