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cette facilité, pour quelques meneurs, de créer, à l’abri de la Bourse du Travail, de pseudo-syndicats qui, en temps ordinaire, n’exercent aucune influence et passent inaperçus des ouvriers eux-mêmes, mais qui, aux heures de crise, se trouvent seuls prêts à parler au nom de tous et rallient autour d’eux toute la corporation. C’est ce qui est arrivé pour les terrassiers, et ces syndicats, insignifians la veille, ont groupé autour d’eux tous les travailleurs et dirigé tout le mouvement. Mais il importe de remarquer que, dans ces conditions, ils n’avaient ni réserves, ni ressources pour soutenir la lutte, et ne pouvaient compter que sur le concours incertain des autres corporations.

Les entrepreneurs, au contraire, sont depuis longtemps syndiqués, et leurs chambres forment trois groupes dont l’un se réunit rue de Lancry, 10, à l’hôtel des Chambres syndicales ; dont l’autre a son siège 10, rue du Faubourg-Montmartre, et dont le troisième est rue de Lutèce, 3, dans l’hôtel des Chambres syndicales de l’Industrie et du Bâtiment. Ces chambres syndicales existent depuis 1868, et comprennent la presque totalité des entrepreneurs, mais l’organisation est encore assez incomplète, et plusieurs tentatives de réforme n’ont pas abouti. L’excès de la concurrence causé par le système des adjudications qui met aux prises, périodiquement, les entrepreneurs, rend une entente entre eux assez difficile, et dans le cas actuel nous verrons que les divisions entre patrons et la difficulté de réunir les trois groupes ont été une des causes de prolongation de la grève.

Le 9 septembre dernier, le syndicat des terrassiers adressa une première mise en demeure aux chambres syndicales des entrepreneurs. Les réclamations des ouvriers portaient sur un point précis : ils réclamaient le paiement intégral des prix de main-d’œuvre inscrits dans la série officielle des prix de la Ville de Paris, édition de 1882, et ils protestaient contre l’engagement que les entrepreneurs avaient pris l’habitude de faire signer aux ouvriers qu’ils embauchaient pour éviter, on cas de conflit, l’application des prix de série par le Conseil des prud’hommes. Les ouvriers se croyaient en droit de l’exiger après les déclarations faites à maintes reprises par le Conseil municipal et la délibération du 27 avril 1888, approuvée par M. Floquet, ministre de l’Intérieur, assurant à l’ouvrier le prix minimum obligatoire de la journée fixée à la série sans rabais.

On sait comment s’établissaient autrefois, après accord entre