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I. — LA GRÈVE CORPORATIVE DES TERRASSIERS

Paris n’est plus, depuis quelques mois, qu’un immense chantier où il semble qu’on ait pris plaisir à accumuler en même temps la plus grande somme de travaux possible. De quelque côté que se dirige le promeneur, il se heurte partout à des clôtures en planches, à des amoncellemens de terre, à des tranchées béantes et à des puits inquiétans, d’où sortent, en même temps que des miasmes délétères, des fumées suspectes et des bruits de machines. Les plus belles promenades sont encombrées et barrées, on n’y voit que des arbres abattus et de lourds tombereaux chargés de déblais. Le Conseil municipal, le gouvernement et les grandes compagnies de chemins de fer se sont donné le mot pour livrer la ville aux terrassiers et aux démolisseurs.

Les travaux sont de trois sortes :

1° Les travaux de l’Exposition, y compris le pont Alexandre III, qui sont exécutés pour compte de l’Etat ;

2° Les travaux du Métropolitain et les réfections d’égouts qu’ils nécessitent, qui se font pour compte de la ville de Paris ;

3° Les travaux de prolongement des gares d’Orléans et de l’Ouest, qui se font pour compte des compagnies de chemins de fer.

Enfin il faut encore faire état des constructions de maisons de rapport et de grands hôtels édifiés en vue de l’Exposition de 1900, qui se font pour compte de particuliers.

Jamais à aucune époque on n’avait vu pareille fièvre de travail, et quand, au mois de septembre dernier, le Conseil municipal décida la mise en adjudication des travaux du Métropolitain, on put prévoir que la main-d’œuvre deviendrait insuffisante, et qu’en vertu des lois chères aux économistes, les salaires devraient nécessairement renchérir. En d’autres termes, l’imprévoyance des pouvoirs publics devait amener une première crise, sans compter celle, plus grave encore, qui ne manquera pas de se produire au moment de l’arrêt simultané de toutes ces entreprises. Gouverner, c’est prévoir ! a-t-on dit. Il ne semble pas que nos gouvernans aient beaucoup prévu l’avenir, et les responsabilités qu’ils ont encourues pourront un jour paraître lourdes.

Les ouvriers qui exécutent ces travaux appartiennent à des catégories bien tranchées. Ce sont d’abord les ouvriers attachés