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Du côté du protestantisme, tout se résume en un mot : la suppression des intermédiaires. Dieu parle à l’homme directement. Il n’a d’autre langage que le Livre qu’il a dicté lui-même. Pourquoi le prêtre ? pourquoi le sacerdoce ? pourquoi le sacrifice de la messe ? pourquoi le culte des saints et de la Sainte Vierge ? pourquoi les images ? Une conscience éclairée et droite suffit, quand Dieu l’a appelée à lui, quand il l’a destinée, du fond de sa volonté impénétrable. Oui, cela suffit ; et les œuvres elles-mêmes ne peuvent que venir en aide à la foi. Du côté du catholicisme, c’est l’universalité qui l’emporte et non l’individualité. Il s’agit de l’humanité et non de l’homme ; de l’Église et non du fidèle. La hiérarchie et l’autorité sont nécessaires pour parer au pire de tous les maux : le désordre, l’anarchie, suites fatales de l’examen libre et du sens individuel ; l’anarchie, à laquelle la religion a arraché l’homme et qui le ressaisit, quand la religion relâche la prise qu’elle a sur lui.

Les deux thèses sont radicalement opposées. C’est Ormuzd et Ahriman ; elles se combattront tant qu’il y aura des hommes et une société, et ce sont les faits seuls qui les apaiseront pour essayer de les concilier dans une mutuelle tolérance.

Richelieu caractérise, par les paroles les plus fortes, le sens et la portée du débat : « Au fond, votre but, dit-il aux pasteurs, est de vous chercher vous-mêmes, vous affranchissant en ce monde de toute la peine et de toute la sujétion qui se peut trouver à bien faire. Car, pourquoi dites-vous l’Écriture unique règle de votre salut, sinon pour vous affranchir de l’obéissance de l’Église et de la sujétion des traditions… À quelle fin niez-vous que saint Pierre ait été le chef de l’Église universelle sous Jésus-Christ, sinon pour n’être point soumis à l’autorité de son successeur ?… » Il fait toucher du doigt le danger du système qui confie à chaque particulier la décision suprême sur la foi et sur la destinée : « Vous trompez le peuple en lui persuadant qu’entre tous les moyens externes qui peuvent servir à notre salut, la lecture de la Bible est le seul auquel il peut trouver de la certitude, ce qui est faux, puisque autrement les simples et les ignorans qui n’ont point de lettres ne peuvent avoir la foi. Ceux qui étaient chrétiens devant que l’Évangile fût écrit, ceux qui, du temps de saint Irénée croyaient, comme il témoigne, en Jésus-Christ, sans papier et sans encre, ne l’eussent pu avoir… Il n’y a personne qui ne reconnaisse que vous trompez le peuple et le portez à sa perte,