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est de leur faire du bien et non du mal, de les guérir et non de les blesser, qu’au lieu d’être haïs de nous, comme ils disent, nous les aimons véritablement… Et afin qu’ils ne pensent pas… que, parlant de leur conversion, je veuille inciter Votre Majesté (le livre est dédié à Louis XIII) à les y porter par force, je lui dirai que les voies les plus douces sont celles que j’estime les plus convenables pour retirer les âmes de l’erreur : l’expérience nous faisant connaître que, souvent, aux maladies d’esprit, les remèdes violens ne servent qu’à les aigrir davantage. » Nous sommes loin de la Saint-Barthélémy ; et nous sommes loin aussi de la révocation de l’Edit de Nantes.

Dès le début de sa vie politique, Richelieu dégage les principes de mutuelle tolérance sur lesquels doit reposer la vie nationale dans un État où diverses Églises subsistent. Pour que personne ne s’y trompe, il ajoute : « Par ce moyen Votre Majesté, correspondant au glorieux titre de Très-Chrétien que la piété de ses prédécesseurs lui a acquis, se rendra le plus signalé roi du monde et affermira, de plus en plus, le repos et la paix dans son État. » Ainsi, cet homme qui a, de l’autorité de l’État, une conception si fière, l’adoucit cependant, quand il touche au point sensible de l’âme humaine, à cette « prunelle de l’œil » qui est la liberté des consciences. Il devine, un des premiers, que la mission du gouvernement moderne est de dominer et d’apaiser ces conflits et non de les soulever et de les irriter. Evoque aujourd’hui, cardinal demain, il impose à son autorité religieuse une limite. Il contient les zélés, appelle à lui les hommes de bonne volonté et les hommes de foi. Avec ces concitoyens de croyances diverses, qui, la veille, se ruaient les uns sur les autres, il veut faire une société unie, une nation.

Sa discussion habile et pressante suit, pied à pied, la réponse que les ministres avaient faite aux propositions du Père Arnoux. Qui l’emporte dans ce duel de plume ? On ne saurait répondre sans être accusé de partialité. C’est le débat philosophique de la volonté de Dieu et de la liberté de l’homme, c’est le débat théologique de la foi et des œuvres, de l’efficacité de la grâce, du nombre des prédestinés et des élus ; c’est le débat historique de la liberté d’examen et de la tradition ; c’est enfin le débat politique de l’obéissance totale à la volonté du prince, ou de la résistance, selon le criterium d’une conscience qui n’a son contrôle que dans elle-même.