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de conduite, réciproquement, jugent nos croyances. C’est peut-être ce que ne savent pas assez ceux qu’on voit tous les jours attaquer les croyances en protestant, très sincèrement, qu’ils veulent garder la morale. Il ne faut pas commencer par abattre l’arbre dont on veut continuer de récolter les fruits.

Ai-je besoin d’ajouter qu’ici encore le contenu de l’acte de foi qui fonde la morale ne saurait être quelconque ? et qu’il faut qu’il soit substantiellement une affirmation de l’absolu ? Le caractère même du devoir l’exige, qui peut bien comporter des adoucissemens, et des distinctions, mais point de restrictions, ni de transactions. Il est ou il n’est pas. L’impératif est catégorique ou il n’est plus l’impératif ; il devient le conseil qu’on peut suivre ou ne pas suivre, l’invitation à laquelle on peut se soustraire, la sollicitation qu’on écoute ou qu’on n’écoute pas. « La conscience est comme le cœur, a-t-on dit justement et avec force, il lui faut un au-delà. Le devoir n’est rien s’il n’est sublime, et la vie devient frivole si elle n’implique des relations éternelles. » Mais ces « relations éternelles, » nous l’avons vu, la croyance seule est capable de nous les assurer. Pas de morale sans croyance, et pas de croyance qui, pour mériter son nom, ne doive impliquer l’absolu.


III

Quelles conclusions tirerons-nous maintenant de là, quels conseils ou quelles indications ? Car on parle quelquefois, même en public, pour parler, pour le plaisir ou pour l’honneur, mais l’on parle aussi quelquefois pour agir, pour essayer d’agir, pour grouper les bonnes volontés autour de quelque idée qu’on croit juste ; et c’est justement ce que je fais aujourd’hui. Si nous devons donc à la croyance tout ce que j’ai tâché de vous montrer que nous lui devions, nous croirons premièrement qu’il faut croire, et j’avoue que le conseil, au premier abord, a un peu de l’air d’une naïveté. Mais regardons-y de plus près, nous verrons bien qu’il n’en a que l’air, et quiconque de nous s’efforcera loyalement de le suivre, il aura rompu sans retour avec les paradoxes du scepticisme, du dilettantisme, et même du rationalisme.

Pour ma part, si j’ose ici me citer moi-même, il y a tantôt vingt-cinq ans que j’ai commencé de combattre le dilettantisme, et Dieu sait les railleries de toute sorte que m’a values cette persistance ! En ce temps-là, Messieurs, que je vous félicite, pour la plupart, de n’avoir pas connu, « la qualité essentielle d’une personne distinguée, — c’est du Renan que je vous cite, — était le don de sourire de son œuvre,