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comment l’atteindrons-nous ? par quels moyens ? quelle certitude avons-nous du peu que nous en connaissons ? et cette certitude, enfin, sur quoi la fondons-nous ? Je réponds hardiment : nous la fondons et nous ne pouvons effectivement la fonder que sur la croyance, ou, si vous le voulez, que sur un acte de foi. Car aujourd’hui, — sans parler des bornes où se heurte de tous côtés notre ambition de connaître, — c’est ne rien dire que de nous définir, comme on le fait encore dans nos écoles, la vérité par l’évidence, et l’évidence par la conformité de l’idée avec son objet. Aucun objet n’est conforme à l’idée que nous en avons, et cet axiome, vous le savez, est l’un des fondemens de la science moderne. Les qualités des corps ne sont pas dans les corps, mais en nous, et ce que nous appelons le monde n’est qu’une projection de nous-même en dehors de nous. S’il s’établit un rapport entre la nature des objets et l’impression que nous en recevons, ce rapport ne nous apprend rien de ce qu’ils sont en eux-mêmes, et n’est de son vrai nom qu’une « représentation. » Ainsi l’acteur qui joue Polyeucte ou Saint-Genest n’a rien de commun avec un martyr chrétien, et nos Agrippine ou nos Cléopâtre, heureusement pour elles, rien de commun avec leur personnage. Le monde est en représentation devant nous, et nous en saisissons ce que nous pouvons, mais rien qui lui ressemble au fond, qui lui soit conforme, qui soit donc vrai, si la vérité n’est que la conformité de l’idée avec son objet. Et cependant, doutons-nous de la science ? doutons-nous sérieusement de la réalité du monde extérieur ? doutons-nous du progrès de la connaissance ? doutons-nous de la régularité du cours de la nature ? Non, nous n’en doutons pas. Nous avons raison de ne pas en douter ! Et pourquoi n’en doutons-nous pas ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai, ce sont trois des maîtres de la pensée moderne, ce sera l’auteur du Discours de la Méthode, un Français et un idéaliste ; ce sera l’auteur de la Critique de la Raison Pure, un Allemand et un criticiste ; ce sera l’auteur des Premiers principes, un Anglais et un positiviste.

Descartes commence par faire hypothétiquement table rase de tout ce que lui ont appris la tradition et l’autorité. Il détruit tout pour tout reconstruire, ou du moins il s’en flatte ; et, en effet, du milieu même des ruines que son doute systématique avait accumulées, voici surgir un nouvel édifice dont la grandeur n’est faite de rien tant que de sa simplicité. Mais, la solidité de cet édifice lui-même, sur quoi repose-t-elle ? Sur la qualité, me dites-vous, des matériaux qui sont entrés dans sa construction ? sur la rigueur des calculs qui y ont présidé ? sur la correspondance ou la cohésion de toutes ses parties ? Oui, si l’on le