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seulement nous, mais les étrangers ? Est-ce que ce n’est pas de la piété que professent pour eux leurs sectateurs ? Est-ce que nous ne rendons pas un culte à leurs reliques ? Est-ce que nous ne croyons pas qu’ils ont été plus grands que nature ? Est-ce que nous ne parlons pas couramment des « géans de la Convention ? » Est-ce que nous ne célébrons pas en eux, je répète le mot de Tocqueville, les apôtres d’une loi nouvelle ? et enfin, pour achever la ressemblance, quand un grand écrivain, qui pensait librement, a écrit ses Origines de la France contemporaine, vous êtes-vous jamais demandé pourquoi, et de quoi, on lui en avait tant voulu ? C’est d’avoir, si je puis ainsi dire, essayé de faire descendre les idoles de leur piédestal ; c’est d’avoir prétendu réduire ces « géans » à des proportions quelquefois ridiculement humaines ; c’est d’avoir, en deux mots, travaillé à rabattre sur le plan de toutes les autres histoires une histoire que beaucoup de ses contemporains persistaient à se représenter comme extraordinaire, surnaturelle, — et miraculeuse.

Taine avait-il d’ailleurs complètement raison ? et n’y a-t-il rien que d’humain dans la Révolution ? je veux dire : une autre action que celle de l’homme ne s’y fait-elle pas sentir ? C’est une autre question, qu’encore une fois je n’examine point. Je me contenterai de dire en passant que, si je l’examinais, je suppose que je la résoudrais comme J. de Maistre. Mais, assurément, le droit que j’ai, c’est de voir dans cette « religion de la Révolution » une manifestation ou une forme du besoin de croire. On avait voulu arracher ses croyances à tout un grand peuple, et on se flattait d’y avoir réussi, mais, à vrai dire, on n’avait abouti qu’à les déplacer. Le besoin de croire, détourné de son objet naturel, s’était reformé autour de l’idée révolutionnaire ; et le sens même du mystère s’était réintégré dans une doctrine dont le premier article était la négation du mystère. N’y a-t-il pas là quelque chose d’assez singulier ?

Car, observez, je vous prie, que tout ce que je viens de dire de la « religion de la Révolution, » j’aurais pu, je pourrais aussi bien le dire de la « religion du Progrès, »ou de la « religion de l’Humanité. » L’une après l’autre, ou en même temps, toutes ces négations initiales se sont terminées à des affirmations, et ces affirmations à un anti-Credo. Fides est argumentum rerum non apparentium ! Sous la roue qui le broie, l’homme contemporain continue de croire au progrès Et ne vous avisez pas de lui en montrer la contre-partie, l’illusion, peut-être, et en tout cas la précarité ! Il y « croit » vous dis-je, absolument, aveuglément ; et il y croit d’autant plus qu’il croit à moins