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qu’on leur a présentées sous la forme d’un ultimatum. Que faire ? Nous compatissons très sincèrement aux douleurs de l’Espagne dans l’épreuve qu’elle traverse, mais elle a dû céder. C’en est fait de son empire colonial, qui a été autrefois sa gloire, mais qui, il faut bien le dire, avait fini par devenir pour elle un luxe un peu onéreux. Qui sait si la conservation n’en avait pas pour elle autant d’inconvéniens que d’avantages ? L’intérêt de l’Espagne aujourd’hui est de se ramasser sur elle-même, et de réunir ses forces pour veiller sur ses possessions les plus rapprochées.

Les États-Unis n’avaient certainement besoin que d’eux-mêmes pour arracher au vaincu les îles Philippines, et pour lui imposer toutes leurs volontés ; mais si, à défaut d’un secours qui leur était inutile, un concours moral avait pu les servir, ils l’auraient trouvé dans les manifestations du gouvernement anglais à leur égard. L’intimité qui s’est établie entre les deux puissances était bien faite pour frapper le monde d’étonnement, et pour inspirer un sentiment encore plus circonspect à la malheureuse Espagne. Comment aurait-elle pu résister aux États-Unis doublés de l’Angleterre ? Ces cousins éloignés, qui ne s’étaient jamais montré la moindre sympathie réciproque, ont mis une véritable affectation à se jeter dans les bras l’un de l’autre. Ils se sont aperçus subitement qu’ils avaient partout des intérêts en parfaite harmonie. Ils le disent du moins, et nous n’avons pas d’autre raison de le croire ; aussi ne le croyons-nous que d’une foi qui chancelle encore, et qui ne s’affermira qu’au bout de quelques années d’expérience. Si cette communauté d’intérêts existait réellement, deux peuples et deux gouvernemens d’esprit aussi ouvert et de sens aussi pratique l’auraient sans doute reconnue beaucoup plus tôt. Cette brusque, mais tardive révélation a quelque chose de merveilleux qui laisse la pensée incertaine. Les États-Unis, subissant une poussée de sève intérieure toute naturelle de la part d’un peuple jeune et aussi vigoureux, veulent devenir une puissance coloniale : ils disent même impériale. M. Mac Kinley sera peut-être un jour président de la République des États-Unis et empereur de quelques Indes à trouver. C’est une grande transformation, et comme une crise de croissance, à laquelle nous assistons en spectateurs attentifs, n’ayant d’ailleurs aucun motif d’en prendre ombrage. Mais pourquoi ne pas avouer notre surprise de la sympathie si vive avec laquelle l’Angleterre y assiste de son côté, comme si elle était d’ailleurs toute prête à mettre son enjeu dans la partie ? L’Angleterre ne cesse pas de nous reprocher le régime douanier que nous appliquons à nos colonies, et même, quand nous