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avec son cousin ont un autre intérêt que de nous montrer sa sensibilité profonde, sa vraie tendresse, en même temps que ses ambitions modestes pour son fils ; ils commencent à nous initier à la vie nouvelle qui va être celle de l’étudiant et nous permettent déjà de connaître le caractère du poète en sa vingtième année et nous aideront à fixer sa vraie physionomie à cette époque.


Charles Leconte de Lisle arriva à Dinan peu de jours avant la nomination de son oncle à la mairie de cette ville[1]. Il tombait en pleines joies d’espérance ; l’accueil fut excellent et, bien vite, en quelques lignes, il écrivait à ses parens combien M. et Mme  Leconte avaient été bons pour leur neveu. L’oncle, lui, en annonçant à son cousin de Bourbon la réalisation imminente de son rêve municipal et l’arrivée de Charles, ne se laissait aveugler ni par les satisfactions prochaines de son orgueil, ni par l’illusion des premiers épanchemens. L’avoué perspicace avait déjà flairé dans le nouveau venu « une tendance à la coquetterie, un peu de vanité et d’amour-propre. »

En lui répondant, à la date du 27 novembre 1837, pour remercier « les protecteurs, les amis de son enfant, » M. Leconte de l’Isle s’étonne bien un peu des observations de son cousin. De la vanité ! De l’amour-propre ! « soit faiblesse de père, soit changement chez Charles, il ne s’en était pas aperçu. Il aime la toilette, me dis-tu ! J’avais craint le contraire, tant ce triste pays où je suis exilé avait jeté d’abandon dans son âme, dans sa tenue… Les excès ne valent rien ; je serais aussi peiné qu’il s’occupât trop de sa mise que je serais contrarié qu’il se négligeât. » Il semble pourtant que ce brave homme, si préoccupé du juste milieu en toutes choses, pardonnerait plutôt un excès de « coquetterie, » Il en donne ses raisons, toujours les mêmes : « Un costume soigné porte au respect de soi-même et vous ferme en quelque sorte, à mon avis, l’entrée des réunions trop faciles, où l’on contracte de mauvaises habitudes. » Ce qu’il juge nécessaire, c’est d’habituer le jeune homme à mettre de l’ordre dans ses dépenses et son tuteur doit en exiger le compte strictement ; le désordre, l’insouciance, la prodigalité sont telles dans ce « malheureux pays de Bourbon » que la « contagion » était inévitable. C’est à M. Louis

  1. La nomination est du 7 juillet 1837. Parti de Bourbon le 11 mars, débarqué à Nantes dans les derniers jours de juin, Charles Leconte de Lisle dut arriver à Dinan au commencement du mois de juillet.