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minuit, dans la chapelle de Wanstead, sans autre assistance que les quatre témoins[1]. Puis, dans la modeste demeure, tout reprit son train coutumier, et le triomphe de la morale fut discret, simple et silencieux. Le seul changement visible est que la nouvelle princesse de Condé doit désormais paraître quelquefois à la cour de Gosfield[2], où la famille royale lui fait le plus gracieux accueil. Mais sa santé déjà chancelante éloigne le plus possible ces occasions de fatigue, et, lorsque l’étiquette la contraint d’y faire un séjour, elle y mène une vie à part et volontairement retirée. « La voir, dit un contemporain, est une faveur dont peu de gens sont honorés. » Lord Jerningham, qui eut ce rare privilège, la dépeint[3] comme passant ses journées dans sa chambre, à demi couchée sur un large fauteuil, auprès d’un feu mourant, qui seul éclaire la vaste pièce. Condé, assis presque à ses pieds « sur un tabouret bas, » lui tient assidue compagnie, et ne la laisse que vers neuf heures du soir, pour faire « le loto du Roi. »

Les soins mutuels qu’ils se prodiguent sont véritablement touchans. Quand, en 1809, le prince souffre deux mois d’un grave accès de goutte, elle ne le quitte ni jour ni nuit ; elle se fatigue et se tourmente si fort, qu’elle en tombe malade à son tour ; et c’est alors lui qui la veille, s’installe à son chevet, et ne permet à nulle main mercenaire de lui rendre les soins que son état exige. A dater de cette époque, la santé de la princesse décline visiblement ; des douleurs vives, des fièvres persistantes, des bronchites répétées, ruinent peu à peu ses forces. Une crise plus violente éclate, les premiers jours de mars 1813. Ce n’est d’abord, croit-on, qu’un simple rhumatisme ; mais la poitrine se prend ensuite, et, malgré médecins et remèdes, il faut bientôt renoncer à l’espoir : « Tout, tout est perdu pour moi, écrit le prince au duc de Bourbon, et

  1. Les deux enfans du prince de Condé reçurent la nouvelle du mariage le lendemain de la cérémonie. Voici la lettre par laquelle le prince fit part de la nouvelle à sa fille, la princesse Louise : « 24 décembre 1808. — Vous êtes une trop bonne fille, ma chère enfant, pour n’être pas bien aise de mon bonheur. Je vais épouser, par permission du Roi, la personne que j’aime le plus, et le Roi, avec toutes ses grâces ordinaires, lui assure, à cette occasion, le rang, les droits des princesses du sang. Toutes les précautions sont prises, en nous mariant séparés de biens, pour que nos enfans ne puissent jamais avoir la moindre contestai ion ensemble après notre mort. Je reçois votre compliment d’avance, et je ne doute pas que vous fassiez le vôtre, avec votre grâce ordinaire, à la femme que j’épouse. Le mariage va se faire dans la chapelle de Wanstead, sans la plus petite cérémonie ni invitation. Je vous embrasse. » (Arch. de Chantilly.)
  2. Séjour de Louis XVIII jusqu’en 1811, où il se fixa à Hartwell.
  3. The Jerningham letters, publiées par Egerton Castle.