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montagnes de Styrie. Pas un moment, Mme de Monaco n’a paru se lasser de cette vie errante, incertaine ; partout où le vieux prince a planté les piquets de sa tente, il Ta trouvée à ses côtés, vaillante, sereine, insoucieuse du lendemain. Lorsque enfin, en 1801, le licenciement du corps de Condé inaugure une ère de loisirs et de calme, l’Angleterre offre au couple inséparable un accueil hospitalier ; et Wanstead-House, nid de verdure au bord d’une fraîche rivière, abrite sous son toit modeste leur union cimentée par douze ans de misère.

L’existence de Wanstead-House est aussi heureuse qu’elle peut être après tant de désastres ; au moins est-elle unie et sans secousses. Tous deux vivent dans la solitude ; les « petits travaux du jardin » suffisent à leur activité ; après le souper tête à tête, le trictrac ou le loto occupent la fin de la soirée ; c’est la simplicité monotone d’un ménage bourgeois et rustique. Ils en jouissent comme d’une nouveauté ; et, sans porter leurs yeux au-delà de l’étroit horizon, appliquent volontiers à leur sort les belles paroles du sage : parva domus, magna quies, un grand repos dans une petite demeure. Seuls les soucis d’argent troublent cette quiétude. Des grandes richesses d’antan, rien ne leur est resté ; ils vivent de la maigre pension que fait aux princes du sang le gouvernement britannique ; elle est insuffisante pour deux. Afin d’arracher quelques livres de plus, il faut humilier son orgueil, implorer les ministres, marchander sou par sou, jurer « sur son honneur » que, faute de cette dernière ressource, le seul avenir possible est « de mourir de faim[1]. » En juin 1804, deux mois après la mort du duc d’Enghien, Condé en est réduit à demander à Pitt de reporter sur la princesse de Monaco une partie de la pension, désormais inutile, de son malheureux petit-fils. La lettre[2] est douloureuse à lire. C’est de la pauvreté l’effet le plus cruel, de briser le ressort des fiertés légitimes, de courber à la longue des âmes qui, sans faiblir, ont bravé les pires catastrophes.


X

La communauté de vie à Wanstead, la façon ouverte et publique dont Condé, dans ses lettres aux autorités anglaises, associe

  1. Lettre du prince de Condé. (Arch. de Chantilly.)
  2. 22 juin 1804. Ibidem.