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Soucieuse d’exactitude, elle consulte Barthélémy[1] sur les us des anciens pour le mobilier de leurs temples, et l’abbé lui répond gravement par une dissertation savante : « Au reste, conclut-il, l’Amitié est une déesse de tous les temps ; on peut la meubler comme on veut. » Une invention plus surprenante est celle de l’ermitage. Dans un coin reculé du parc, se cache dans le feuillage une modeste chaumière, attenant à une chapelle, à « une grotte servant d’oratoire, » à un petit enclos où poussent quelques légumes. En ce lieu solitaire habite, aux gages de la princesse, un véritable ermite. Un règlement sévère, qu’elle a rédigé de sa main[2], fixe étroitement le programme de sa vie. Vêtu d’une robe de bure, il ne pourra sortir que « pour assister aux offices avec l’habit de son état, » n’aura « nulle relation » avec les gens du voisinage, n’enfreindra jamais le silence, travaillera de ses mains, cultivera ses légumes, élèvera ses pigeons, « donnera à son entour un air agréable. » Pour tenir cet emploi, l’ermite aura de la châtelaine ses vêtemens professionnels, du bois mort à discrétion, quelques paquets de chandelles, et cent livres par an. Et le plus curieux de l’histoire est qu’Alexis Herbin, — ainsi se nomme le titulaire, — se montre content de son sort, se conforme douze ans à ce « cahier de charges, » et, relevé de ses engagemens par la Révolution, continue son métier d’ermite en sa paisible cabane, où il meurt en 1811, à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

Dans son domaine de Betz, sous l’ombrage apaisant des arbres séculaires, seule avec ses fermiers, ses serviteurs et son ermite, Marie-Catherine retrouve le calme et la sérénité. Elle se fait une âme villageoise, se passionne pour ses foins, ses fruits et ses moissons, demande à la simple nature le baume de ses blessures et l’oubli de ses maux. Un grand bonheur vient bientôt l’y chercher, dont, depuis de longues années, elle avait perdu l’habitude. Ses fils, maintenant majeurs, mariés[3], libres de leurs actes, se souviennent de leur mère et vont la voir à Betz. A chaque séjour, ils s’y plaisent davantage, y passent des semaines et des mois. Même, vers 1788, l’aîné, le duc de Valentinois, se fait nommer maire de la commune, et en remplit l’office jusqu’à l’époque de la Terreur. Un hôte plus assidu encore est, — l’on s’en peut douter,

  1. Auteur du Voyage d’Anarchasis (1715-1796).
  2. Archives de Beauvais.
  3. L’aîné, le duc de Valentinois, avait épousé en 1776 la fille unique du duc d’Aumont, héritière des Mazarin. Le cadet, le prince Joseph de Monaco, s’allia en 1782 à la fille du comte de Choiseul-Stainville.