Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’empêche pas les caprices, les engouemens rapides, tout ce « papillonnage » dont les mœurs de l’époque ne font qu’un jeu léger, un passe-temps élégant, qu’on ne saurait prendre au sérieux sans se couvrir de ridicule. La liste est longue, dans les chroniques du temps, des femmes qui, sans bruit ni scandale, distrairont en passant les loisirs du prince de Condé. Elles traversent son existence sans y laisser de trace, fantômes d’un jour dont le lendemain emporte la mémoire.

Ainsi du moins en est-il de Condé ; mais la princesse de Monaco se trouve d’un autre avis. Comme elle s’est donnée sans réserve, elle prétend tout garder pour elle ; elle se soucie fort peu des distinctions subtiles entre le caprice et le sentiment, les faiblesses de la chair et la constance du cœur. Sa passion exclusive n’admet aucun partage, et sa jalousie italienne, ingénieuse à se torturer, incapable de se contenir, éclate en larmes amères, en douloureux reproches. Vive et sincère est sa souffrance, vif et sincère aussi l’étonnement de Condé devant ces façons insolites. L’indignation naïve qu’il en ressent, le ton dont il se disculpe, marquent d’un trait curieux la physionomie de ce temps : « Comment est-il possible ; — écrit-il à sa maîtresse après une scène de ce genre, — que l’aigreur l’emporte toujours sur le sentiment que vous dites avoir pour moi ? Il eût dû vous porter au contraire à m’écrire : « Je suis enchantée que vous ayez trouvé un moyen de « vous dissiper. » Mais il n’est pas en vous de me procurer une tranquillité qui ferait le charme de la vie ! « Jamais, dit-il une autre fois, « je ne pourrai me faire à un pareil courroux pour une chose aussi simple !… Vous vous occupez de votre bonheur, et point du tout du mien. Mon cœur sent vivement tous vos torts… » Et il termine sa philippique par cette exclamation : « Ah ! pourquoi Dieu m’a-t-il donné un cœur aussi sensible ? Le mauvais présent qu’il m’a fait ! »

Ce ne sont pourtant là que de légères querelles, des brouilleries sans lendemain, qu’une parole affectueuse apaise, que suivent des raccommodemens tendres. Un « esclandre » du prince, plus bruyant que les autres, faillit, en 1779, amener de plus graves conséquences[1]. L’héroïne de l’histoire fut une des dames d’honneur de la duchesse de Bourbon, la comtesse de Courtebonne[2], veuve de jeunesse douteuse et de beauté médiocre,

  1. Correspondance de Grimm, de Bachaumont, etc.
  2. Née Gouffier.