Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la déclare « déchue de son rang, de son titre et de ses honneurs, » fait défense à quiconque de lui donner « un nom auquel elle a renoncé elle-même par sa félonie. » Il fait juger et condamner à mort, par les magistrats de Monaco, ceux de ses sujets dont les dépositions l’ont le plus vivement irrité, les fait exécuter en effigie dans la principauté. Vengeance plus effective, il frappe la mère dans ses enfans, interdit toute visite, tout commerce avec elle, fait renvoyer par son portier les lettres suppliantes où elle implore de leurs nouvelles[1].

Si l’on en croit certains pamphlets de la Révolution, un duel aurait eu lieu, à l’issue du procès, entre le prince de Monaco et le prince de Condé, duel où le premier eût été légèrement blessé ; Honoré aurait, peu après, provoqué de nouveau son rival, mais Louis XV aurait cette fois interdit la rencontre. Les documens authentiques que j’ai eus sous les yeux ne soufflent mot de cette histoire, qui n’a d’ailleurs rien que de vraisemblable. Quoi qu’il en soit, c’est surtout à sa femme que s’en prend la rancune du prince de Monaco. Dès 1771, il harcèle le roi de France de mémoires et de suppliques, pour que Marie-Catherine, « étant déchue de son rang de princesse, ne soit plus désormais admise à se présenter à la Cour. » Cette requête est repoussée, et les années s’écoulent sans apaiser sa haine. A l’avènement de Louis XVI, il renouvelle ces tentatives, fait appel à l’austérité du « couple

  1. Une lettre de la princesse de Monaco au marquis de Castries, en date du 9 mars 1771, expose éloquemment sa douleur de cette privation : « La barbarie avec laquelle M. de Monaco me refuse constamment mes enfans me force, Monsieur, à vous importuner. Je vous demande en grâce d’obtenir de M. de M… que j’aie la satisfaction de les voir. J’ai écrit, depuis ma sortie du couvent, plusieurs fois à mon fils pour me procurer cette faveur, inutilement à la vérité, mais au moins on lui permettait de me répondre. Cette faible consolation lui a paru un trop grand bonheur pour moi. Il a eu la cruauté, depuis quinze jours, d’empêcher mon fils de me répondre, et il l’a poussée au point de défendre à son suisse de recevoir mes lettres, qui m’ont été renvoyées. J’aime trop tendrement mes enfans pour ne pas réclamer tous les droits que la nature me donne, et ne pas employer tous les moyens possibles de satisfaire le sentiment le plus cher à mon cœur. Vous êtes vous-même un père tendre, et devez juger aisément de ce que je souffre ! » Dans une autre lettre, elle rappelle que, quelques années auparavant, quand son fils aîné fut inoculé, elle s’était « enfermée avec lui pendant six semaines, malgré la défense des médecins. » Le prince ne vit pas une seule fois son fils, et, pour tout remerciement, dit ensuite à sa femme : « S’il lui était arrivé malheur, c’est à vous que je m’en serais pris. »