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Lamoignon, Saint-Fargeau, ses amis personnels, leur affirme hardiment que la chute du ministre présage un revirement favorable à leur cause, laisse entendre que « le roi lui-même » l’autorise secrètement à tenir ce langage[1]. Que le parlement, leur dit-il, reprenne sans délai ses fonctions ; cette marque de bonne volonté désarmera les dernières préventions ; le prince de Condé, d’accord avec Louis XV, se chargera ensuite de rétablir la bonne entente entre le trône et la magistrature.

Ces conseils furent suivis. Le lendemain, 31 décembre 1770, le parlement de Paris, sur la foi de ces promesses, se rassembla et tint séance. La première cause appelée fut celle de la princesse de Monaco. Il n’y eut point de plaidoiries ; l’affaire dura quelques minutes à peine ; l’arrêt fut rendu « tout d’une voix. » Il prononçait, en faveur de Marie-Catherine, « la séparation de corps et d’habitation, » faisait défense au prince « de plus hanter ni fréquenter son épouse, ni d’attenter directement ou indirectement à sa liberté, » ordonnait la restitution intégrale de la dot. Huit jours plus tard, la lutte politique reprenait, plus violente que jamais ; le chancelier de Maupeou accentuait l’attitude agressive du pouvoir ; le parlement, le 8 janvier, quittait à nouveau ses fonctions ; et le roi, le 17 du même mois, dans ses « lettres de jussion, » désavouait formellement son cousin le prince de Condé : « C’est en vain, dit-il aux magistrats, que vous cherchez à colorer votre résistance du vain prétexte d’espérances conçues et ensuite évanouies… Personne ne vous en adonnées, et personne n’a été autorisé à le faire. »

Je n’ai pas à décrire la colère d’Honoré devant le triomphe de sa femme. Le dédain de ses droits souverains, les termes sévères de l’arrêt, le subterfuge employé pour précipiter la sentence, tout augmente son dépit et son indignation[2]. Un rescrit envoyé à son peuple dénonce solennellement « la révolte de son épouse, »

  1. Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault. — L’Espion anglais. — Mémoires du temps.
  2. Voici la lettre, pleine de doucereuse amertume, par laquelle le prince annonce à sa belle-mère l’issue du procès : « 14 janvier 1771. Madame votre fille vous fera sans doute part, ma bonne maman, du succès de ses vœux. Cet événement intéresse trop sa réputation pour que je puisse y être indifférent ; mais il ne change rien à mon état, puisque depuis six mois elle a abandonné sa maison et ses enfans. Cependant les jurisconsultes que j’ai consultés ont voulu que je fisse un acte à Monaco pour la rappeler à ses devoirs. Je ne me flatte pas que cela la détourne du mauvais chemin qu’elle a pris, et je crois qu’il ne nous reste plus d’autres ressources que de pleurer sur elle. » La marquise de Brignole répond à « son aimable fils » en se plaignant d’être la plus malheureuse des mères, et en reprochant à sa fille de l’avoir « moins considérée qu’une simple connaissance, puisque ce n’est qu’une fois l’affaire consommée qu’elle a appris ce qui faisait la nouvelle du public. »