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dans la serrure ; vainement ils s’évertuent à réparer le dégât, un valet les surprend pendant l’opération ; il n’est pas d’autre issue que de tout confesser à la maîtresse de maison : « Ah ! Madame, dit celle-ci, cela est-il possible ? Il faut que vous le disiez vous-même pour que cela puisse se croire ! » Et l’histoire se répand, fait le tour des salons, provoque mille commentaires : « Le maladroit cavalier, conclut Horace Walpole, d’employer si lourdement son temps dans un boudoir, avec la plus jolie femme de France et si portée à la curiosité[1] ! »

La nouvelle attitude de Mme de Monaco hâta l’inévitable dénouement. Le prince exaspéré ne connaît plus de ménagemens, passe des menaces aux voies de fait, prétend user de violence et séquestrer sa femme ; si bien qu’elle tombe malade, crache le sang, dépérit, et Tronchin consulté s’alarme pour ses jours[2]. Des parens interviennent, l’évêque du Mans, Louis-André de Grimaldi, cousin d’Honoré III, le comte de Valentinois, son frère : « Mais, moi, je dors, je mange bien, j’engraisse, répond brutalement Honoré. — Sans doute, mais avec tout cela, vous la menez au tombeau. — Tant mieux, j’en serai plus tôt quitte ! » On n’en peut tirer autre chose[3]. En des circonstances si extrêmes, nul ne s’étonna d’apprendre, en juillet 1769, que la princesse, quittant la maison conjugale, s’était retirée dans un couvent de Paris, Elle écrivait le même jour à l’archevêque, implorant l’autorisation de quitter cet asile pour la Visitation du Mans : « Je ne me propose pas, ajoute-t-elle mélancoliquement, d’éviter des peines. Je n’ignore pas que l’on en trouve partout, et que l’on doit faire son bonheur de ne rien espérer d’heureux. » La permission fut accordée, elle vécut un temps, au Mans, dans une tranquille retraite. Quelques lettres de Condé, respectueuses et tendres, y vinrent distraire sa solitude : « Je ne saurais, dit-il, vous peindre l’affliction où j’ai trouvé la communauté (de Paris) le jour de votre départ. Les larmes que j’ai vues couler ont adouci les miennes… Je vous regrette bien sincèrement, parce que je vous suis véritablement attaché. L’amitié que j’ai pour vous me fera passer de cruels momens, ils ne pourront être amortis que par l’assurance que vous me donnerez que vous passez des jours plus sereins, et que vous jouissez d’une santé meilleure… »

  1. Correspondance de Mme du Deffand avec Horace Walpole.
  2. La consultation de Tronchin est dans les pièces du procès.
  3. Déposition des témoins. (Arch. nationales.)