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engager à soutenir les inconvéniens du vôtre… Le chevalier de Durfort est dans ma chambre. Son visage est moins altéré, il s’est blanchi à Compiègne. J’imagine que la douce peau de sa dame est comme la lance de Télèphe, qui guérissait les blessures qu’on en avait reçues. Quoi qu’il soit, le remède est bon ; je suis souvent tenté d’en user, seulement par précaution. Vous avez sur les cœurs le même empire, et les maux de votre absence seront guéris par votre retour. Adieu, princesse, je vous assure de mon attachement et de mon respect. »


V

Nous nous jugeons nous-mêmes selon notre conscience. Le monde, — et c’est justice, — forme son opinion d’après ce qu’il voit de nos actes. Condé et Monaco, ces deux noms retentissans, furent bientôt associés dans l’esprit du public. La passion affichée de l’un, l’évidente sympathie de l’autre, devinrent à la cour et à la ville le propos ordinaire. La médisance, comme on peut croire, poussa jusqu’au bout l’aventure : à ces amans épris l’on eût cru faire du tort, en supposant un seul instant qu’ils se fussent arrêtés en route. Il fut dès lors inévitable que quelque écho de ces rumeurs arrivât aux oreilles du prince de Monaco. Si l’on en croit Marie-Catherine, les premières insinuations vinrent de sa propre belle-sœur, la comtesse de Valentinois, née Ruffec, femme envieuse et intrigante, qui la détestait de longue date. Des accusations plus précises affolèrent bientôt Honoré. Une nuée de billets anonymes fondit sur le jaloux, lui disant l’heure, le lieu, les circonstances des rendez-vous, fouettant sa colère par de grossières railleries : « Mme de Monaco a soupé ici hier, — écrit « une amie » inconnue, — il y avait quarante personnes. En vérité, je ne conçois pas comment elle ose se montrer dans le monde !… Est-ce que vous n’imaginiez pas qu’elle serait comme sa mère ? Vous n’aviez donc pas pensé à cela avant de l’épouser ? » — « Saviez-vous depuis longtemps M. le Prince ? interroge un autre vengeur de morale. Il y a trois ou quatre ans que cela dure. Vous auriez dû vous en apercevoir, car il passait sa vie chez vous. Nous nous disions : si le prince découvre l’intrigue, il l’enfermera à Monaco. On s’attendait que vous prendriez quelque parti violent. » On imagine, sur un tempérament brutal, l’effet de ces excitations. La première explication fut terrible : aux insultes succédèrent les gestes menaçans ;