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d’aussi tendre que lui !… Jamais je ne l’aimerai autant que je le dois ! Je le chéris pourtant avec la plus vive tendresse[1]. »


II

Mme de Brignole vint passer à Paris tout l’été et l’automne de 1755, en compagnie de sa fille. Celle-ci terminait alors son éducation, et débutait dans le monde, où sa beauté naissante faisait aussitôt sensation. Grande, svelte, bien faite, l’harmonieuse souplesse de sa taille parait chacun de ses mouvemens d’une grâce inexprimable. Son visage, moins régulier peut-être que celui de sa mère, le surpassait, au dire de tous, en charme et en physionomie. Des cheveux abondans, de ce blond italien où le soleil semble avoir oublié ses rayons ; des yeux d’un bleu profond, dont l’éclat innocent se voilait de mélancolie, reflétant à la fois l’ingénuité de l’enfance et l’expérience précoce des tristesses de la vie ; un teint clair, uni, transparent, qu’animait à la moindre émotion l’afflux d’un sang chaud et pur : telle apparaissait à seize ans Marie-Catherine de Brignole. « Elle est belle comme un ange ! » s’écrie, la première fois qu’elle l’aperçoit, une de ses contemporaines ; et cette image banale traduisait bien sans doute l’impression qu’elle laissait, car on la retrouve sous la plume de tous ceux qui l’ont approchée et qui ont parlé d’elle. Mme de la Ferté-Imbault[2], — qui l’a beaucoup connue et dont les notes éclairent d’un jour précieux certains points de cette histoire, — assure que le portrait de son âme n’était guère moins flatteur : « Elle a, dit-elle, un caractère charmant pour l’égalité et pour la raison ; elle est douée de beaucoup d’instruction ; et elle a éprouvé tant de chagrins, d’embarras, d’humiliations, qu’elle a été forcée de réfléchir dès qu’elle a eu l’âge de raison. » Simple et modeste ajoute-t-elle, sensible et point coquette, tant d’avantages réunis, — sans compter ceux du nom et de la fortune, — la firent promptement le point de mire des salons parisiens. Même son succès y fut si grand, que sa mère, encore fort admirée malgré ses quarante ans, ne tarda pas à prendre de l’ombrage. Impérieuse et superbe, la marquise de Brignole « ne souffrait point le partage ; » une rivale de seize ans parut insupportable à sa maturité.

  1. Lettres de la princesse de Monaco. (Arch. de Monaco.)
  2. Fille unique de Mme Geoffrin (1715-1791). Ses papiers sont conservés dans la famille d’Estampes.