Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un sens droit, d’un cœur bon et tendre, mais d’esprit un peu lent et de formes un peu rudes, ne se pliait pas docilement aux fantaisies, — parfois audacieuses, — de sa femme ; et s’il cédait enfin devant l’ascendant d’une nature supérieure à la sienne, cette résignation arrachée n’allait pas sans orages et sans luttes. La médiocre entente du ménage s’aggrava singulièrement, plusieurs années après la naissance de leur fille, par l’entrée en scène d’un nouveau personnage, dont le rôle fut trop grand dans l’histoire qui va suivre pour que je puisse me dispenser de le présenter avec quelque détail.

Honoré III, prince de Monaco, inaugurait alors, dans ce minuscule et délicieux Etat, une dynastie nouvelle. Son grand-père maternel, Antoine Ier[1], n’avait laissé en mourant que des filles, dont l’aînée, Louise-Hippolyte, mariée à Jacques de Matignon, duc de Valentinois, exerça quelques mois la souveraineté conjointement avec son époux. Elle succomba à son tour le 29 décembre 1731 ; le duc de Valentinois, après un essai infructueux pour gouverner à lui seul le peuple monégasque, se résigna au bout de deux ans à abdiquer en faveur d’Honoré, le premier des six enfans issus de son mariage, qui, né en 1720[2], venait d’atteindre à peine sa treizième année. Le jeune prince, en recevant le titre, n’eut pas, dans un âge si voisin de l’enfance, la charge effective du pouvoir. L’administration de la principauté resta confiée au gouverneur de Monaco, le chevalier de Grimaldi, fils naturel d’Antoine Ier ; Honoré, comme ses prédécesseurs, passa toute sa jeunesse à la cour de France, où se compléta son éducation mondaine et militaire. Mousquetaire à cheval en 1736, il est trois ans plus tard colonel du régiment de Monaco, avec lequel il prend part à la guerre de succession d’Autriche. Il se distingue à Fontenoy, se fait blesser à Raucoux, voit son cheval tué sous lui à Lawfeld, et déploie dans cette affaire une si brillante valeur que le roi l’en récompense en l’élevant à vingt-huit ans au grade de maréchal de camp.

Mais là s’arrête la part d’éloges que peut légitimement réclamer sa mémoire ; et cette bravoure indiscutable est d’autant plus à retenir qu’elle constitue sa principale et presque son unique vertu. Egoïste et dur, tyrannique avec des formes doucereuses,

  1. Prince héréditaire de Monaco depuis 1701, mort le 21 février 1731, le dernier des Grimaldi qui ait régné à Monaco.
  2. Le 10 septembre 1720. L’abdication eut lieu en novembre 1733.