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gros comme des merles, au poitrail éclatant, vient y gazouiller sous mes fenêtres matin et soir. Derrière cet abri, la maison semble accroupie sous son vaste toit rougeâtre à pans rompus qui s’incline vers une seconde toiture, éployée pour ainsi dire au-dessus de la piazza. Celle-ci, soutenue par des troncs de pins rouges non équarris, auxquels les branches, rustiquement taillées comme au hasard, prêtent des chapiteaux, est garnie de coussins et de berceuses ; on y prend le thé, on y cause, on y vit ; cette piazza enveloppe d’ombre tout le rez-de-chaussée d’où nous découvrons la mer des deux côtés. L’intérieur du cottage est décoré avec un goût sévère, sur le modèle des vieilles maisons de puritains : peinture sombre sur les murs, hautes cheminées de bois, petits carreaux de vitrage ; la plupart des meubles ont été collectionnés avec soin dans les fermes d’alentour. Il s’y ajoute des objets d’art discrètement choisis, beaucoup de fleurs.

Je ne me lasse pas du spectacle dont je jouis de mes fenêtres au premier étage. L’une d’elles donne sur la pleine mer dont les vagues, très douces en cette saison, caressent une île blanche toute proche. Des cottages couleur de brique, aux toits bizarres, à pignons, à galeries, à balustres, s’égrènent parmi les roches grises et moussues. De mon autre fenêtre je découvre la presqu’île verdoyante qui me cache le port de Manchester. Le clocher d’une petite église se détache sur le lointain feuillu. L’eau immobile dans une vasque arrondie fait penser à celle d’un lac.

Par le raidillon du jardin, je descends vers d’autres jardins sans clôture qui s’ouvrent avec une hospitalité toute familiale, presque sans interruption, le long de la côte. La saison est trop peu avancée encore pour que les villas soient ouvertes ; la plupart d’entre elles attendent encore leurs propriétaires respectifs ; peut-être dans un mois y aura-t-il trop d’équipages sur les routes, trop de grandes élégantes, trop de monde ; profitons vite de ce moment sans pareil. On marche au hasard au-dessus des plages qui se succèdent, toujours en vue de la mer, par des sentiers agrestes qu’envahissent la fougère odorante, le sassafras ou le laurier ; libre à vous de vous reposer sous les cèdres aux branches étendues en parasol qui, plantés sur ces falaises déchiquetées que l’on dirait roussies au soleil, font penser à des pins d’Italie. Je me rappelle quelques sites merveilleux, le point entre autres où les roches forment un étroit couloir, une sorte de canon ; la