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Marthe Corey, intelligente autant que courageuse, ne se borna pas à affirmer son innocence, elle osa faire entendre qu’elle ne croyait pas à la magie ; audace presque unique, car la bonne foi des bourreaux n’avait d’égale que la superstition de la plupart des victimes. Crédule entre tous était Giles Corey, le mari de Marthe, un bonhomme de quatre-vingts ans. Ses dépositions absurdes contribuèrent à faire condamner sa femme ; quand il essaya de les retirer, il devint aussitôt suspect et fut arrêté à son tour. Alors ce vieillard, si faible jusque-là, s’imposa une expiation sublime. Il savait que le refus délibéré de répondre aux juges entraînait avec lui quelque chose de plus affreux que la mort immédiate. La punition des silencieux consistait à être pressé jusqu’à ce que la parole sortît, c’est-à-dire que le coupable était couché presque nu sur le seuil de son cachot, sans autre couverture qu’un poids énorme, qu’on ne retirait qu’après l’aveu. Le supplice pouvait durer plusieurs jours. Corey se laissa presser jusqu’à la mort, sans prononcer un mot.

Avec Arvedson, l’intérêt marche crescendo ; c’est le plus habile des metteurs en scène. Il nous introduit ensuite à l’Essex Institut, grand bâtiment de briques qui renferme des collections d’antiquités américaines, indiscutables celles-là. Plusieurs salles sont remplies d’armes très lourdes, de chaufferettes énormes, portées autrefois à l’église par les fidèles pendant les interminables sermons, de chenets de fer, de tournebroches, d’ustensiles certainement moins curieux pour les Européens, qui s’en servent encore, que pour les Américains de nos jours, initiés aux plus récentes inventions en fait d’engins culinaires et autres. Assortiment complet de boucles, de parapluies, de chapeaux, de perruques, de chaussures, etc., tout cela très simple en général, la loi exigeant que la toilette fût en rapport avec les ressources de chacun, ce qui donnait lieu à des enquêtes rigoureuses : ainsi se fonde la liberté.

Une vitrine recèle quelques bijoux historiques, bagues, peignes, ouvrages en cheveux. Les meubles du temps sont représentés par des rouets, par de grandes chaises à fond de roseaux, plus deux clavecins et la table sur laquelle Moll Pitcher, la devineresse de la Révolution, disait la bonne aventure. Tout prouve l’absence absolue de luxe, une austérité générale. Mais ce qu’il y a de plus intéressant, c’est la salle des portraits : gouverneurs anglais, prédicateurs et philanthropes célèbres, magistrats des