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assurerait les soins gratuits. Mais cette idée, peu originale en elle-même, devait avoir une conséquence singulièrement heureuse. Les statuts de la société de secours mutuels, suivant une clause fort ordinaire, excluaient du droit à l’inscription les jeunes filles atteintes de maladies chroniques. Un grand nombre d’entre elles étaient atteintes d’une maladie chronique et la plus terrible de toutes : la phtisie. Comment les laisser sans soins ? De cette impossibilité morale est née la maison de Villepinte affectée aux jeunes filles poitrinaires, qui est devenue d’agrandissemens en agrandissemens une des plus importantes créations de la charité privée et une des œuvres les plus justement populaires de notre pays. C’est d’autant moins le lieu d’en parler, que M. Maxime du Camp lui a consacré ici même une étude assurément présente à toutes les mémoires, et que les deux œuvres, la société de secours mutuels et l’établissement de Villepinte, n’ont aujourd’hui rien de commun : rien, sauf, hélas ! la clientèle qui passe trop fréquemment de l’une à l’autre, et aussi le lieu de consultation qui est toujours la petite maison de la rue de la Tour-d’Auvergne.

J’ai assisté quelquefois à cette consultation et je ne connais rien de mélancolique comme l’aspect de ces jeunes filles qui viennent là se présenter au médecin, les unes si visiblement atteintes que l’œil le moins exercé n’hésiterait pas sur le diagnostic, les autres cachant encore sous l’apparente fraîcheur de la mine le mal qui commence à les ronger, mais toutes anxieuses, tremblantes, attendant, dans un silence plein d’angoisse, la décision du médecin qui doit leur faire connaître leur état véritable, et tout heureuses si, au lieu de Villepinte, il les envoie tout simplement à Champrosay, la maison des chlorotiques et des anémiées. Ce cabinet de la rue de la Tour-d’Auvergne est un des rares endroits où l’œil étranger peut voir défiler devant lui ce jeune monde des ouvrières de Paris, saisir sur le vif leurs souffrances et découvrir aussi quelles vertus elles cachent parfois sous leur air un peu évaporé. Un jour, une jeune fille s’y présentait avec une lettre de recommandation d’un pharmacien. Cette lettre était ainsi conçue : « Je vous envoie une jeune, pauvre et intéressante malade. Sa mère est paralysée et soignée par une enfant qui gagne cinquante centimes par jour, sur lesquels il faut nourrir trois personnes. C’est la jeune fille la plus sage et la plus honnête qu’on puisse trouver : toutes ses pensées étaient pour sa mère à laquelle elle envoyait tous ses gages. Aujourd’hui encore