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à lord Salisbury, mais il y est de plus en plus accentué. Lorsque lord Salisbury s’associe à une initiative quelconque, il semble que ce soit pour la décourager. Que l’Italie, par exemple, émue de nombreux attentats, propose de se mettre d’accord sur une législation internationale en vue d’en prévenir le retour, lord Salisbury ne demande pas mieux que de s’y prêter, mais il se hâte de dire que le succès lui paraît impossible. Que l’empereur de Russie parle d’une conférence internationale où l’on rechercherait les moyens d’arrêter le développement excessif des armemens militaires, lord Salisbury applaudit et il déclare que cette date sera très grande dans l’histoire, mais il s’empresse d’ajouter que les circonstances les plus malencontreuses ont accompagné la proposition russe et que le monde marche en sens inverse d’une généreuse inspiration. Peut-être n’a-t-il pas tort, et il paraît devoir se charger lui-même d’aider, dans un cas comme dans l’autre, à l’accomplissement de ses prédictions. De tout cela il reste un discours morose, ni satisfaisant, ni satisfait, où tout le monde peut se sentir plus ou moins atteint, bien que personne n’y soit positivement visé. Et l’Angleterre continue d’armer : simple expérience de mobilisation sans doute, mais entourée de singuliers commentaires.

Puisqu’il en est ainsi, et tout en évitant avec le plus grand soin ce qui pourrait servir de prétexte contre nous, nous devons veiller à nos relations avec les puissances continentales et les resserrer autant que possible. Dans l’évolution qui emporte le monde, l’aspect des choses change avec une rapidité inconnue jusqu’à ce jour : nous devons pourtant nous astreindre, au moins pendant quelques années, à une politique un peu stable, et lui consacrer la plus grande somme de nos efforts. C’est le seul moyen de ne pas dépendre de tous les incidens. Rien d’ailleurs ne saurait dispenser de ne pas créer ces incidens soi-même, lorsqu’on n’a pas la résolution d’y faire face. M. Charles Dupuy, dans la déclaration ministérielle qu’il a lue à la Chambre et que celle-ci a approuvée, a dit qu’il convenait toujours de proportionner l’effort à la valeur du but. Sans doute ; mais c’est au moment de s’assigner un but, et non pas au moment d’accomplir l’effort pour l’atteindre, qu’il faut méditer ce sage conseil.


FRANCIS CHARMES

Le Directeur-gérant,. BRUNETIERE.